«Pourquoi miroir réfléchis-tu sans me voir ?»

Je ne me souviens plus de l’age que j’avais quand j’ai découvert Mulan. J’ai un vague souvenir de l’avoir vu en école primaire, et de l’avoir en DVD, mais au niveau film d’animation et Disney plus particulièrement, l’envie de Quasimodo de découvrir le monde et de faire partie de la société dans le Bossu de Notre-Dame éveillait plus de compréhension chez moi.
C’est quand j’ai commencé à me questionner sur mon identité de genre que le film a plus résonné en moi. Que ce soit voulu ou non, Mulan est un film qui va au delà du féminisme. En effet, si le rôle de la femme dans la société est questionné, en faisant réfléchir son héroïne sur son identité de genre et sa place dans un monde extrêmement binaire binaire, le film devient un vrai questionnement sur le fait d’être queer.

Déjà, petites explications pour les personnes qui ne sont pas habitués à tout ce vocabulaire :
L’identité de genre n’est pas à confondre avec le sexe ou la sexualité.
Le sexe, c’est l’organe génital que nous avons quand nous naissons. Il ne regarde que nous, notre partenaires et nos médecins. C’est ce qu’on réduit le plus souvent à un pénis et un vagin (même si la réalité est beaucoup plus complexe).
La sexualité, c’est l’attirance que nous avons envers quelqu’un d’autre : nous pouvons être hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, pansexuel…
Donc, l’identité de genre c’est le genre auquel on s’identifie : homme, femme, non-binaire, agenre, genderfluid…
Le plus souvent, on associe à la naissance un genre lié à l’organe génital de la personne, mais l’identité de genre peut ne pas être la même (une personne assignée fille peut préférer porter un prénom de garçon et agir comme un garçon ; une personne assignée garçon peut ne pas se retrouver dans les normes sociales des hommes et préférer se considérer comme agenre ; etc etc). Quand quelqu’un souhaite changer de genre, on dit que la personne est trans. A l’inverse, une personne qui est tout à fait à l’aise dans son identité de genre est une personne cisgenre.
LGBTQ+ et queer sont des termes qui englobent la totalité des personnes non cis hétéro : les personnes lesbiennes, gay, bi, trans, non-binaires…
Dans mon cas, je me considère comme non-binaire, c’est à dire en dehors de la binarité établit par la société homme et femme. Je ne me reconnais ni dans les attentes que l’on a d’une femme, ni dans celles que l’on a pour un homme. Je porte des vêtements non-genrés, et j’aime apparaître assez androgyne.

Ce petit aparté étant fait, revenons à Mulan.
Mulan, c’est l’histoire d’une jeune personne qui ne se retrouve pas dans les attentes que la société a pour elle. Ce que j’aime dans le film, c’est que Mulan essaye vraiment d’être une « femme ». Alors qu’elle n’apprécie clairement pas la séance de maquillage et d’habillage, elle le fait, car elle sait que c’est ce qui doit être fait et veut faire plaisir à sa famille. Cependant, elle échoue lamentablement, et la dame marieuse lui dit « Tu ressembles peut être à une mariée mais tu n’apporteras jamais l’honneur à ta famille », ce qui peut vouloir dire « Tu ressembles peut être à une femme mais tu ne l’es pas vraiment.

Viens ensuite la chanson qui a éveillé des milliers d’enfants LGBTQ+ : « réflexion ».
Alors personnellement la chanson n’a rien éveillé en moi parce que je l’ai écoutée en français. Comme souvent, le français opte pour une traduction pleine de poésie qui perd énormément du sous-texte original. Voilà donc ma traduction :

« Look at me, / Regarde moi,
I will never pass for a perfect bride, / Je ne ressemblerais jamais à une mariée parfaite,
Or a perfect daughter, / Ou une fille parfaite,
Can it be I’m not meant to play this part? / Cela doit-il signifier que ce n’est pas pour moi ?
Now I see that if I were truly to be myself / Maintenant je sais que si je dois rester fidèle à moi-même
I would break my family’s heart. / Cela briserait le cœur de ma famille.
Who is that girl I see staring straight back at me / Mais qui est cette fille qui me rend mon regard
Why is my reflection someone I don’t know? / Pourquoi mon reflet m’est-il inconnu ?
Somehow I cannot hide who I am though I’ve tried / Malgré tout mes efforts je ne peux pas cacher qui je suis
When will my reflection show who I am inside? / Quand mon reflet montrera-t-il qui je suis à l’intérieur ? »

Pour quelqu’un qui n’a jamais eu à se questionner, la chanson peut paraître… Bon je ne sais pas comment elle peut paraître. Mais pour nous autres, personnes trans, la chanson est connue pour nous parler.
En effet, Mulan n’arrête pas de dire que le miroir ne réfléchit pas qui elle est réellement. Une personne trans va souvent grandir en se posant exactement la même question. Mulan se demande donc qui elle est, ce qu’elle est dans cette société.
De la même manière que Mulan, parfois j’ai tenté d’être une « femme » (ou plutôt, ce que la société attend d’une femme). Mais bon, je ne comprenais pas pourquoi on devait me prendre en photo dès que je portais une jupe alors que les shorts c’était quand même sacrément plus confortable. Ni pourquoi je devais absolument me maquiller. Ou utiliser des produits de beauté roses estampillés « femme ». Bref, comme Mulan, ça a lamentablement échoué.

Du coup, comme Mulan, j’ai tenté d’être un homme. En fait, quand j’ai entendu parler de la transidentité, tout le monde ne parlait encore que de la binarité du monde : les femmes, qui doivent apparaître belles, maquillées, bien habillées et les hommes, qui ne doivent pas pleurer, doivent aimer les voitures et manger de la charcuterie.
Dans le film, Mulan est clairement dégoûtée par l’apparence première des hommes, qui se curent le nez et s’émiettent les pieds. Elle essaye de se faire passer pour un en frappant les autres à cause de ses « pulsions viriles » ce qui est une illustration hilarante de la réalité.

Ensuite, pendant, l’entraînement, elle ne parvient pas à suivre le rythme de Shang : elle est souvent dernière et rate son coup à cause des autres qui veulent la saboter. Être un homme, c’est pêcher, se battre, tirer à l’arc, savoir utiliser des canons, porter des charges lourdes… Et elle n’y arrive pas en essayant de ressembler à un homme.

Le seul moment où elle brille réellement, c’est quand elle fait de nouveau preuve de son génie : ce génie qu’elle a démontré au début du film en se servant du toutou pour nourrir les poules, ou pour gagner à un jeu de plateau. Un génie qui était démontré interdit car une femme ne doit pas réfléchir, seulement enfanter. Le truc, c’est qu’elle est aussi la seule des hommes à posséder cette réflexion, puisqu’elle est la première à se servir des poids pour atteindre le sommet du poteau.
Le film là encore montre que Mulan échoue en tant qu’homme : elle ne peut pas être comme eux, non pas parce qu’elle est faible, mais réfléchie. Au final, en gagnant le respect de ses coéquipiers, elle parvient à réussir l’entraînement, tout en ayant quelque chose de plus qu’eux.

D’ailleurs, le moment où elle se choisit un nom de garçon est aussi assez drôle car, si vous n’avez jamais essayé de changer de prénom, vous ne savez pas le casse-tête que ça peut être. Ling ? Non, il y en a déjà un qui s’appelle comme ça. Ah Shu ? A tes souhaits, non ça ne va pas. Elle chosiit finalement Ping, ce qui, avec son nom complet, Hua Ping, signifie vase, qui est utilisé en argot chinois pour désigner les personnes homosexuelles.

Bref, comme Mulan, j’ai échoué lamentablement à être « comme un homme ». Je suis sensible, je n’aime pas les voitures et ne sait monter que les meubles Ikea.

Finalement, c’est en étant ni un homme, ni une femme que Mulan parvient à se débarrasser de toute l’armée des Huns. En effet, Mulan se fait toujours passer pour un homme, mais elle refuse de se battre comme Shang le voudrait, à l’épée, tout ça pour l’honneur. Elle refuse aussi que le dernier canon ne soit utilisé seulement pour tuer Shan-Yu, dans une mise à mort virile qui ferait que le chef ennemi ne soit plus. Désobéissant à tout le monde, elle décide contrairement aux autres, encore une fois, de réfléchir et d’utiliser une avalanche pour tuer tout le monde d’un coup (et elle en est fière!).
Cependant, cette décision de ne pas céder à la bataille de façon virile lui vaudra d’être découverte en tant que femme, ou plutôt en tant que non-homme. J’aime énormément le fait que quand Chi-Fu la dénigre devant les autres, déclarant « C’est une femme ! » elle se redresse fièrement en disant « Mon nom est Mulan ». Très clairement : je ne suis pas seulement une femme, je ne suis pas désignée en tant que femme, mais en tant que moi-même, c’est à dire Mulan.

Ainsi, à la fin du film, elle porte de nouveau une robe, mais une qui ne l’empêche pas de se mouvoir et surtout de se battre. Enfin, elle est honorée par tout le monde en tant que femme qui a transgressé tout ce qu’une femme était en droit de faire afin de sauver des vies : elle est acceptée en tant que personne qui a eu le droit de ne pas faire ce qui était attendu socialement par une femme, sans pour autant devenir un homme.

De nos jours, un personnage comme ça ne passerait plus. On crierait au wokisme ou à l’endoctrinement des jeunes. On vit dans une société qui rejette énormément les personnes trans, et en tant que trans non-binaire, je n’existe même pas légalement.

Pourtant, j’aimerais expliquer ce que je ressens. Ce fait d’avoir ressenti un forçage, quand j’étais jeune, quand on voulait que je joue avec des poupées ou quand on m’a offert du maquillage à l’adolescence, alors que je préférais les dinosaures et les objets scientifiques. Pire, j’avais l’impression de me trahir quand quelque chose d’estampillé rose et fille me plaisait, parce que j’avais l’impression que les autres autour me regardaient comme si j’étais véritablement une petite fille alors que je ne voulais pas qu’on me voit comme tel. Pourtant, je ne me vois pas du tout comme un homme, je ne me sens pas viril et ce que la société attend des hommes doit encore aujourd’hui urgemment être modifié, puisqu’on se retrouve avec une recrudescence de sexisme assez inquiétante.

C’est ce que j’aime dans ce film : on a une vraie explication sur ce qu’on peut ressentir en tant que personne non-binaire. Mulan a l’air de ne pas détester être une femme, mais elle ne parvient pas à l’être comme la société le voudrait : fine, gracile, parfaite pour enfanter. Cependant, elle n’est pas aussi virile que notre légende Shang qui passe son temps torse-nu, et préfère prendre le temps de la réflexion plutôt que d’aller directement au combat. Bref, elle n’appartient à aucune des deux catégories que la société lui impose. Elle est seulement elle-même : la fille de son père, qui sait se battre à l’épée tout en étant très intelligente.

On pourrait croire que le personnage de Mulan n’est pas voulu comme tel : qu’il ne soit qu’une allégorie de ce que le sexisme engendre. Pourtant, quand on regarde le reste du film, il y a d’autres moments queers assez significatifs.

A commencer par Li Shang, qui semble en pincer pour Ping autant que pour Mulan. Il lui lance le même genre de regard, est admiratif, et la blague de Hua Mulan qui signifie vase et donc gay, franchement, elle ne sort pas de là par hasard. Il y a d’ailleurs une scène coupée où Shang disait à Ping qu’il « pourrait l’embrasser », après leur sauvetage de l’avalanche.

On peut aussi voir des femmes qui travaillent dans les rizières, et qui regardent Ping/Mulan en pensant qu’il les a sifflé : Mulan se détourne, honteux, mais les jeunes femmes pouffent de rire. Elles ne savent pas que Mulan n’est pas un homme, et pourtant, le film a voulu ajouter ce petit détail où des femmes sont séduites par une femme, sans que ce soit voulu comme foncièrement drôle, le rendu est même plutôt mignon.

Enfin, on a la scène « Comme un homme » proche du final, où les compatriotes Ling, Chien-Po et Yao se transforment en drag/concubines. Certains trouvent que la scène est transmisogyne, personnellement je n’ai pas forcément vu cet effet là, mais je ne suis pas forcément expert en la matière.
La scène est surtout là pour montrer que les limites que la société imposent avec un système de genre binaires sont restrictives : ici, en apparaissant comme des femmes, mais tout en sachant se battre les soldats peuvent passer facilement inaperçus et on peut vaincre l’ennemi.

En conclusion, si Mulan est un film qui dénonce le sexisme en montrant que, non, la femme ne sert pas que à enfanter et cette idée est restrictive, de mon point de vue de personne trans non-binaire, le film est aussi une vraie réflexion sur la communauté queer et particulièrement sur ce que ressentent les personnes trans.

Une réponse à « Mulan vu par une personne queer/LGBTQ+ »

  1. Tout ça résonne tellement en moi… Merci !

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