Mercredi 3 avril, le lendemain de la journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme, France 2 a diffusé le téléfilm intitulé Tu ne tueras point. Ce film est inspiré du livre et de la vie de Anne Ratier, devenue célèbre pour avoir assassiné son fils.
Dit comme ça, normalement, on frémit d’horreur. Sauf que voilà, cette femme n’a jamais été innocentée. Pourquoi ? Parce qu’elle a « offert » la mort à son fils autiste.
Pour beaucoup, cette nuance est importante : si son fils était un « légume », tant mieux (sachant qu’on a aucune preuve de ça car l’enfant avait trois ans, mais là n’est pas la question). Pour moi qui suit autiste, cette nuance me dégoutte au plus haut point.

L’inspiration de ce film est donc Anne Ratier, une femme qui prône ce qu’elle appelle « l’euthanasie pour autrui », une appellation qu’elle a inventée et qui, dans ma langue, s’appelle un meurtre. Selon elle, une personne handicapée aurait droit au meurtre car pas adepte à vivre pleinement sa vie.
Cette notion de vie indigne d’être vécue nous vient tout droit des nazis : en effet, pour eux, c’était mieux de tuer les personnes handicapées car elles n’étaient pas aptes à vivre. Une notion qui continue d’exister aujourd’hui dans la pensée populaire. D’ailleurs, en France, on continue de différencier les personnes autistes en les appelant Asperger, sachant que Hans Asperger était un nazi qui triait les autistes : les autistes dits Asperger pouvaient être modelés pour vivre en société, tandis que les autres étaient tués.
Bref, Anne Ratier a attendu bien gentiment que la prescription judiciaire soit finit pour pouvoir sortir son livre qui explique pourquoi et comment elle a tué son fils handicapé, à cause de son handicap. Et ça, ça s’appelle de l’eugénisme.

Dans ce téléfilm, on se met à la place du parent qui souffre. Est-ce que le parent souffre parce que l’était ne donne pas accès aux aides et aux soins dont il a besoin pour son enfant ? Est-ce que le parent souffre parce que la vie sera compliquée pour l’enfant à cause d’une société qui ne le comprendra jamais ? Est ce que cette fameuse « détresse des familles » dont nous parle France 2 vient de la société ? Eh non, elle vient du handicap lui-même.
La détresse de Ratier face à la condition, et la condition seule de son fils l’a amené à le tuer. Un geste « poignant » d’après le film. Or, imaginons qu’il s’agit d’un film sur un enfant autiste qui a tué un parent, l’enfant n’aurait eu droit à aucun traitement de faveur. Son geste serait la cause de son manque d’empathie et d’émotion, notamment s’il était autiste, et il serait sûrement appelé psychopathe. Or, ici, la mère qui tue son enfant est vue comme une héroïne salvatrice qui sauve sa progéniture de l’horreur du handicap. Dans son livre, Ratier décrit qu’elle entendait les râles d’agonie de son enfant pendant trois jours. Chez n’importe qui d’handicapé, on aurait vu ça comme du sadisme : ici, on décrit la situation comme belle.
Ce film et d’autant plus dangereux qu’on discute en ce moment de l’euthanasie légale. Si je suis totalement pour une fin de vie digne et sans souffrance dans le cas de maladie, il faut faire très attention avec ça : au Canada, il est proposé et parfois imposé de tuer des personnes autistes grâce à l’euthanasie. Et avec ce film, et les pseudo-discussions qui en ressortent, c’est par là qu’on se dirige.

Aujourd’hui, les médias et les films sur le handicap sont souvent utilisés d’un point de vue larmoyants. Les personnes valides qui ne connaissent pas la réalité de nos vies se disent émus par des films tire-larmes qui nous dépeignent comme des personnes qui ne peuvent avoir droit à une vraie vie à cause du handicap.

Pour les œuvre sur l’autisme, c’est un peu différent : soit c’est tire-larme, soit on se concentre sur le génie de l’autiste sans rien d’autre sur la vie du personnage. Des films et séries comme ça sur l’autisme, il y en a la pelle : Rain Man, Hors Normes, Music, Aspergirl, Atypical, Astrid et Raphaelle, Good Doctor… Ce sont des œuvres qui ont toutes les mêmes points communs : personnage autiste joué par un.e acteurice valide qui se contente de remuer les clichés, un.e réalisateurice qui ne prend pas la peine d’écouter les conseils qu’on lui donne sur l’autisme, ou qui pense en savoir plus que les personnes concernées… Bref, j’ai jeté un œil à chacune de ces œuvres, et à chaque fois je n’ai pas été déçu : je ne me suis jamais retrouvé, de près ou de loin, aux personnages étranges, bizarres et bouleversants que je voyais.

Ce qui est marrant, c’est que les films savent faire des personnages autistes, et souvent, ils ne le font pas exprès. Je pourrais citer Norbert Dragonneau dans les Animaux Fantastiques, Sherlock dans la série BBC du même nom, Willy Wonka dans le dernier film en date, les deux personnages principaux de Good Omens Crowley et Aziraphale (série toutefois écrite par une personne autiste, Neil Gaiman), Gray dans Jurassic World, Abed dans Community, Spencer Reid dans Esprits Criminels, le Docteur dans Doctor Who… Tous ces personnages résonnent plus dans les personnes autistes car l’œuvre ne se concentre pas sur leur handicap, mais sur complètement autre chose, la vie du personnage, ses intérêts spécifiques, une histoire du film qui n’a rien à voir, ce qui fait que le personnage apparaît comme un humain et pas comme un handicap sur patte.

Je me dois aussi de nommer le petit bonbon qu’est la série Everything’s gonna be okay, qui met en scène Nicholas, un personnage qui doit prendre soin de ses sœur Geneviève et Matilda, dont une est autiste (dont les amis et elle-même sont joués par des acteurices autistes). L’auteur de la série, qui joue aussi le personnage principal Nicolas a découvert après les retours qu’il était sans doute autiste. Il a passé un diagnostic qui s’est révélé positif et a inclus ce diagnostic en saison 2, ce qui résulte en une des scènes les plus touchantes que j’ai pu voir à la télé. Pas une scène larmoyante : une scène véritablement mignonne, humaine et qui fait beaucoup de bien à regarder.
De même, j’attends avec impatience le film français Atypic’Biopic, un film réalisé, écrit et joué par des personnes autistes, qui racontent la vie, la vraie, de personnes autistes. Malheureusement, quand on n’a pas un financement de France 2, c’est plus compliqué de pouvoir être diffusé.

Everything’s Gonna be Okay

Nous voyons donc que les médias ont beaucoup de chose à améliorer à l’avenir. Les commentaires après notre soirée de l’horreur chez France 2 le prouvent. En effet, Samuel le Bihan a adapté la vie de Ratier sous forme de film, et les réactions chez les personnes valides sont unanimes : c’est beau, c’est triste, c’est exceptionnel. Pour son œuvre, Le Bihan a d’ailleurs reçu la Légion d’Honneur. Personnellement, comme il a une fille autiste et est d’accord avec les propos de Ratier, en plus d’avoir changé le genre de l’enfant autiste du film en une fille, je serais plutôt d’avis de contacter l’ASE.

Bref, après cette soirée touchante, j’ai encore plus peur pour ma place dans la société. Il faut vraiment essayer de le faire comprendre aux gens : non, notre condition de personne handicapée ne nous condamne pas à une vie amoindrie. Beaucoup pensent que c’est le fait d’être handicapé qui nous fait le plus souffrir, alors que c’est bien le validisme qui est la cause de la souffrance. Nous vivons dans un monde valide qui terraforme chaque individu pour les faire rentrer dans les moules acceptables de la société. Si je ne fais plus d’études, si je n’ai pas de travail, si j’ai du mal à sortir de chez moi, ce n’est pas parce que je suis autiste : c’est parce que la société n’est pas adaptée à ma façon de penser.

Encore une fois, ce film en est la preuve : on est le lendemain de la diffusion, et une jeune fille autiste a déclaré avoir eu des pensées suicidaires après avoir vu le film et ses réactions. Et comment peut-on penser différemment, quand on voit que tout ce que la société attend de nous, c’est être tué par nos parents ?

Screenshot

En conclusion, toute personne qui a pu voir ce film et le trouver touchant, par pitié, réfléchissez. Non, le meurtre ce n’est pas beau, peu importe les raisons et les motivations. Une personne handicapée, qu’elle puisse s’exprimer ou non, a le droit comme chacun de vivre. Ce n’est pas parce que sa vie vous semble diminuée qu’elle l’est réellement : vous n’êtes pas dans la tête des gens. Une vie diminuée par le handicap, ça n’existe pas, ce sont les médias qui tentent de vous le faire croire. La seule chose compliquée qui existe avec le handicap, c’est le fait que la société n’y est absolument pas adaptée. Et ça, jamais ça ne sera compris si on ne daigne pas nous donner la parole sur les sujets qui nous concernent.

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