Mais je suis déjà dans une cage !

Le loup est un animal mystique dont on entend parler depuis sa plus tendre enfance. Contrairement à d’autres animaux qui vivent toujours dans nos forêts tels le renard ou le sanglier, il possède un imaginaire extrêmement fort parmi les histoires et la culture mondiale, ce qui est notamment expliqué par le fait qu’il puisse vivre du désert brûlant à la toundra glaciale. Il est partout, tout le monde le connaît. Pour ma part, j’ai bien évidemment été bercé par les Pierre et le Loup, Petit Chaperon Rouge et autres histoires apparentes, mais aussi beaucoup par la Bête du Gévaudan et le fait qu’elle puisse être un loup.
Loin de me terrifier, cet animal a toujours été pour moi une sorte de personnification de la nature. Un symbole de la forêt, de ses secrets et un peu de magie. J’ai du mal à me souvenir du pourquoi j’en suis arrivé à penser ça, mais comme je l’ai dis, j’ai du entendre certaines choses à propos du loup dans ma région, encore plus maintenant qu’ils reviennent petit à petit.
En grandissant, c’est tout naturellement que les œuvres avec des loups m’attiraient. Depuis la série animée Croc-Blanc, en passant par le film Loup de Nicolas Vanier, puis le film d’animation Alpha et Oméga, les Twilight pour leurs homme-loups, les Enfants Loups, le Dernier Loup...
Le problème, c’est que dans tous ces films, aucuns ne me satisfaisait véritablement. Soit ce n’était pas l’image de l’animal que j’avais en tête, soit le mythe de la transformation homme/loup était trop flou, ou peu imaginatif, ou trop mis de côté. En bref, mon imaginaire n’était pas satisfait.
Quand, en 2016, je découvre les deux petits bijoux d’animation que sont le Secret de Kells et le Chant de la Mer, c’est avec une excitation contenue que j’attends le troisième film des studios de Cartoon Saloon. Et, telle n’a pas été ma surprise quand j’ai découvert la bande annonce conceptuelle, qui présentait des personnages dont l’un d’eux était ce qu’ils appelleront une Wolfwalker, une petite fille pouvant se transformer en louve ! J’espérais qu’il serait le film qui allait me contenter, qui allait enfin rendre justice à cet animal légendaire.
C’est quatre ans plus tard, j’ai enfin pu découvrir ce film. Malgré les problèmes liés à la pandémie, à la fermeture des cinémas, j’ai pris le choix de visionner le film chez moi, sur mon ordinateur, avant de finalement le découvrir dans les salles obscures presque un an après. Et le choix de l’ordinateur ne m’a pas dérangé du tout tellement le film est excellent.

I- Ecologie

Le loup est l’animal par excellence qui démontre la bêtise de l’Homme. Tout comme le dragon, il se retrouve dans chaque continent de notre planète, dans chaque civilisation, mais à l’inverse de ce dernier il est bien réel. Cependant, il y a de tels légendes liées à cet animal que dans l’imaginaire collectif, il finit par devenir un animal dont on ne connaît que des préjugés.
Ainsi, il y a quelques mois, quand je pensais qu’on s’était calmé vis à vis de ce magnifique animal, j’entendais encore quelqu’un dire qu’il s’agissait d’un tueur sanguinaire. L’Homme a peur du loup, et pourtant, l’une des sous-espèces du loup est caractérisée comme le meilleur ami de l’Homme : le chien.
Il y a des milliers d’années, on a domestiqué le loup jusqu’à en faire une sous espèce domestique, avant d’exterminer quasi entièrement les loups. On accuse ces magnifiques animaux d’êtres à l’origine d’attaques sournoises sur les Hommes, de tuer notre nourriture, de créer des dégâts…

Chose parfaitement montrée dans le film : les attaques de loups sont craintes, alors que ce sont les Hommes qui attaquent les premiers. Une scène qui me fait particulièrement rire est quand Mébh déclare à Robyn que ses loups vont la dévorer, et qu’elle est obligée de les pousser après Robyn, eux qui n’en ont apparemment rien à faire. De même, on pense encore aujourd’hui que le loup tue nos troupeaux de moutons, notre nourriture attitrée. Cependant, il s’agit d’un cercle vicieux que nous créons : nous coupons les arbres, réduisant l’espace de vie des animaux sauvages, pour poser nos enclos et notre bétail. Le gibier des loups disparaît ainsi par notre faute, et ils sont obligés de trouver une autre source de nourriture, celle qu’on a posé à la place du gibier sauvage : les moutons.
Le film discrédite ainsi les deux gros préjugés que l’on a envers ces animaux dès le début : si on démarre le film avec une attaque de loups, on le démarre aussi et surtout avec une forêt qui est de plus en plus détruite. Les animaux que l’on voyait heureux, vivant tranquillement leur vie dans une belle forêt, paraissent maintenant tristes et affamés dans ce décor ravagé où on les aperçoit à peine. Au XVIIème siècle, on coupait du bois partout, et en Irlande on l’utilisait principalement pour les bateaux, pour reconstruire Londres après l’incendie de 1666, pour construire des tonneaux acheminés ensuite en France et en Espagne, pour le brûler afin d’alimenter les feux de forge, ou encore tout simplement pour créer des champs. La question écologique de ne posait pas, on prenait tout ce que la nature pouvait créer, et même plus, ce qui forçait donc les loups à venir de plus en plus près des habitations humaines pour trouver de la nourriture.
Cette forêt qui se détruit de plus en plus nous propose une véritable course contre la montre dans le film : comme le dit Robyn, elle devient de plus en plus petite, ne laissant rien aux animaux. Je me souviens m’être exclamé « Oh non ! » quand j’ai vu cette image de l’arbre où se retrouvent Mébh et Robyn coupé. Un chêne centenaire abattu pour rien. Et malheureusement, cinq siècles plus tard, la situation est toujours la même.

Mais revenons en aux loup : évidemment, ce qui va nous amener à ne plus les craindre, c’est la découverte des Wolfwalkers.
Le terme (qui à ma grande tristesse n’a pas été traduit en français, mais qui peut se comprendre par « Marcheursloups ») est inventé de toute pièce, mais il prend sa source dans de nombreuses légendes et mythes.
Déjà, évidemment, le mythe du lycanthrope, du loup-garou, n’est plus à expliquer. Cet humain qui se transforme à chaque pleine lune en créature mi-loup mi-humaine, qui attaque les Hommes et dont la morsure transforme la victime aussi en loup-garou est extrêmement connu et a été utilisé dans de nombreuses œuvres. Cependant, cette légende est très récente : la peur de la maladie (avec cette morsure qui transmet une sorte de virus), la peur du loup, tout ça est plutôt neuf. En se penchant sur les histoires relatant d’homme se transformant en loups, dans les films, livres et jeux, on peut se rendre compte qu’il y a deux  »espèces » de lycanthrope :

  • Le loup-garou classique, qui se transforme en hybride homme-loup, se déplace sur deux ou quatre pattes, se transforme à la pleine lune, mord les gens… Les exemples de ce type ne manquent pas : le film de Harry Potter et le Prisonnier d’Askaban, Carnival Row, Lost Girl, Van Helsing, Wolf, le Loup-Garou de Londres
  • L’humain qui se transforme en véritable loup. Le plus souvent, ces créatures ne sont pas appelées loup-garous mais ont un autre nom, et leurs transformations sont plus ou moins voulues. Il est plus difficile de trouver des exemples mais j’en ai quelques uns en tête : le Disque-Monde, les Twilight (où les Quileutes ne sont pas des loups-garous comme tout le monde semble le penser mais des Changeurs de Peau, une véritable légende native américaine, eh oui), les Enfants Loups, Ame et Yuki pour ce qui est de l’animation… et bien évidemment, le film qui nous intéresse, le Peuple Loup.

Ainsi, c’est donc bien la deuxième catégorie qui nous intéresse, celle des humains se transformant véritablement en un autre animal. Ces histoires ne parlent non pas du mythe très récent du loup-garou maudit, mais de légendes beaucoup plus anciennes relatant d’humains pouvant changer de forme et devenir un véritable loup. Des légendes comme ça, il y en a des centaines et des centaines, ne serait-ce qu’une bonne dizaine en France (la garache, le ganipote, la Bête du Gévaudan…), cependant j’en retiens deux qui ont directement inspiré notre film.
La première légende se nomme les loups d’Ossory. Bien que les récits soient un peu flous, on peut comprendre qu’il s’agissait d’un peuple irlandais, comme dans le film, qui a été décimé par des chrétiens à cause de leurs pouvoirs. Ce peuple avait la possibilité de se transformer à volonté en loup, mais le corps humain était distinct du corps loup : ainsi, si on était transformé, les proches avaient ordre de ne pas toucher au corps humain, au risque que la personne reste un loup jusqu’à la fin de sa vie. Dans certains écrits, ces loups sont liés au peuple Tuatha Dé Danann, des dieux qui se sont accouplés avec des mortels pour donner naissance aux loup d’Ossory. Si vous ne connaissez pas ce peuple, il y a une représentation d’un d’eux dans les films de Cartoon Saloon : Aisling dans le Secret de Kells. Aisling qui peut prendre plusieurs formes, mais que l’on voit principalement en louve.
Le seconde légende qui nous intéresse est celle des Benandanti. Il s’agissait de sorciers qui affirmaient voyager en tant qu’esprits animal, la nuit, pour lutter contre des mauvais sorciers qui saccageaient les récoltes. Benandante signifie celui qui va pour le bien, mais malgré ça, ils furent accusé d’hérésie et de sorcellerie et brûlés. Cette légende me paraît importante pour le film, où l’antagoniste dit clairement vouloir brûler les loups et leur forêt, comme s’ils étaient des démons.

Cependant, si le sous-texte qui dépeins les dérives de la religion est bien là, le mythe du lycanthrope est utilisé pour un message tout à fait différent : le rapport de l’Homme avec la nature.
Dans le film, il y a une réelle cassure entre la ville et la forêt. Les humains en ville sont tristes, sombres, édentés, éborgnés, crient tout le temps, ne sont pas heureux, alors que les animaux dans la forêt s’épanouissent, sont colorés, les bruits sont rassurants… Le meilleur exemple du film est la pluie : alors qu’en ville elle est froide, assommante, porteuse de maladie pour Robyn (son père lui dit même « Rentre, tu vas attraper la mort »), dans la forêt, quand Robyn est une louve, la pluie est une libération, elle permet de mieux apprécier la nature.
Le thème du film est donc de montrer comment l’instinct animal qu’on a en nous peut prendre vie. Rejoindre et courir avec une meute de loup, observer la nature de façon différente, sentir les odeurs, sentir la pluie… L’instinct prend le dessus sur les problèmes qu’on se créé dans notre société humaine. Le film n’est pas si loin de la morale d’Avatar, où on nous montre que notre société actuelle n’est que source de problème. Aujourd’hui, on ne chasse plus, on tue des milliers d’animaux chaque jour seulement parce qu’on en a le pouvoir, et on achète leur viande bourrée de produits toxiques au supermarché. On boit du lait de vache sans réellement réfléchir au fait que ce soit le lait d’un animal (c’est appuyé dans le film quand Robyn est dégoûtée par le lait proposé paru ne marchande). On abat de plus en plus d’arbres pour planter la nourriture que l’on donnera au bétail.
Avec son antagoniste, le film dépeins toute notre société d’aujourd’hui : le lord-protecteur ne voit pas la valeur de la nature, il a une approche extrêmement consumériste, à court terme de celle-ci. Il détruit la forêt, provoque l’extinction des espèces, ce qui fait parfaitement écho à notre système. On a perdu notre approche de la nature et des animaux pour les exploiter industriellement.

Si j’ai d’abord regretté qu’il n’y ait pas de berceuse dans le film, la chanson que l’on peut entendre quand Robyn court avec les loups la nuit est en revanche très intéressante. Il s’agit d’une reprise de Running with the wolves d’Aurora. Par cette chanson, la chanteuse a voulu secouer un peu les gens, démontrer que notre instinct animal est toujours là et qu’on devrait s’y abandonner. Il est donc tout à fait logique que le film l’ai utilisé, quand on se penche sur les paroles :
Go run and hold to safer grounds / Va courir et reste sur des terrains sûrs
But don’t you know we’re stronger now / Mais ne comprends-tu pas qu’on est plus fort maintenant
My heart still beats and my skin still feels / Mon cœur bat encore et ma peau ressent encore
My lungs still breathe and my mind still fears / Mes poumons respirent encore et mon esprit a encore peur
But we’re running out of time / Mais on n’a plus de temps
All the echoes in my mind cry / Tous les échos de mon esprit crient
There’s blood on your lies / Il y a du sang sur tes mensonges
And the sky’s open wide / Et le ciel est grand et immense
There is nowhere for you to hide / Il n’y a nulle part où te cacher
The hunter’s moon is shining / La lune du chasseur brille
I’m running with the wolves tonight / Je cours avec les loups ce soir
[…]
Locked or free, what would it be? / Enfermé ou libre, qu’est ce que ce serait ?
My spirit talks, I’m everything / Mon esprit parle, je suis tout
[…]
A curse, a gift / Une malédiction, un don
They track and hurt / Ils traquent et blessent
Don’t let your dreams go incomplete / Ne laisse pas tes rêves se briser
I’m running with the wolves tonight / Je cours avec les loups ce soir
Le côté un peu étrange et sans contexte de la chanson montre qu’on est plutôt dans un esprit simple et sans complexité d’un animal sauvage, à qui les idées viennent d’un coup sans réel contexte. On passe de l’esprit de Robyn à celui de Mébh, avec cette dernière qui parle de rester sur des lieux qui sont plus sûrs pour ses loups, qui parle de chasseurs et des mensonges dans la vie de Robyn, et de son rêve de liberté qui peut être brisé. Robyn décrit les sensations qu’elle a en tant que louve, qui se demande si pouvoir se transformer en l’ennemi de son père est un don ou une malédiction, qui cours avec la meute et qui se demande si elle devrait rester enfermée ou libre. En bref, si j’ai d’abord déploré l’absence de chanson en gaélique comme dans les précédents films du studio, la compréhension de celle-ci m’a finalement bien plu.
Enfin, pour encore plus appuyer le choix du loup, en irlandais, ces animaux s’appellent les Mac tíre, qui signifie littéralement les enfants de la terre, pour démontrer encore une fois qu’ils font complètement parti de la nature.

De plus, le film aime bien montrer que l’on s’approprie tout et n’importe quoi comme acquis. Robyn répète ce qu’elle entend à Mébh : cette forêt, c’est celle des humains, elle leur appartient et ils ont le droit de l’abattre. Sauf que la forêt appartient plutôt à ceux qui y vivent, c’est à dire les animaux et les plantes. On s’approprie le droit de tuer à outrance la faune et la flore pour implanter des champs remplis d’une seule plante, des prairies pour une seule espèce animale que l’on va manger… Rien à dire, le film explique parfaitement à quel point cette idée est stupide.

En bref, le film nous explique très clairement à quel point nous avons dérivés de la nature. L’introduction me colle les frissons à chaque fois, avec cette nature saccagée où les animaux restent cachés ou baissent la tête face aux ravages causés par l’agriculture qui servira à nourrir les élevages, puisque c’est encore ce qui se passe aujourd’hui. Tomm Moore, le réalisateur, est vegan et aime le montrer, ce qui est chose faite avec ce film. On a perdu notre instinct d’animal sauvage qui chasse pour manger et on est devenu des êtres qui élèvent à outrance et font sans cesse souffrir les autres animaux ou même notre propre société. Mébh et les loups sont beaucoup plus épanouis que les habitants de la ville qui sont froids et moroses, décharnés et effrayants : les scènes dans la forêt offrent l’opportunité de réellement respirer alors que dans la ville on étouffe face à la grisaille et la saleté.

II- L’antagoniste : figure religieuse, colonialiste et homophobe

Dans le Secret de Kells et le Chant de la Mer, il n’y avait pas de réel antagoniste. Cromm Crúaich, les vikings et Macha n’étaient que des allégories des peurs des protagonistes, la peur de l’inconnu pour Brendan, la peur de la tristesse pour Ben. Les films démarraient avec des protagonistes qui avaient peur respectivement de sortir de Kells et de ressentir la perte de sa mère pour Ben.
Pour Robyn, elle ne commence pas le film avec une peur mais avec un désir, celui d’être dehors. Il n’y aura pas de personnage humain qui personnifiera sa peur. En revanche, il y aura un antagoniste dans l’histoire en la personne du lord-protecteur.
Il s’agit donc du premier film de Tomm Moore où un  »méchant » est présent. Loin de vouloir chercher l’antagoniste rare qui a une réelle motivation, le lord-protecteur est un méchant tout ce qu’il y a de plus basique : il veut massacrer des loups, emprisonner Robyn et faire de Bill un esclave.
Seulement, il n’est pas le méchant basique que le film voudrait vous faire croire. Il est le méchant de la fable qu’on nous raconte, celui qui personnifie les tares de notre société.

Tout d’abord et c’est le point qui ressort le plus, le lord-protecteur est une véritable dérive de la religion.
Dans les deux premiers films du studio, la religion était quelque chose de bienfaisant. Dans le Chant de la Mer, la Vierge était une figure maternelle qui symbolisait Bruna, la mère des deux protagoniste, et ses apparitions les protégeait. Et évidemment, dans le Secret de Kells, la religion est omniprésente, puisque l’histoire est celle du livre de Kells, chef-d’œuvre religieux. Brendan évolue dans une abbaye, ses amis sont des moines et son rêve est d’être enlumineur.
Le paganisme est aussi quelque chose qui tiens à cœur au studio. En Irlande, les figures païennes sont nombreuses et tout le monde connaît encore de nombreuses légendes de fées, de dieux et de sorciers. C’est tout naturellement que le Chant de la Mer parle principalement des anciens mythes celtes avec notamment la selkie, et dans le Secret de Kells, la deutéragoniste est Aisling, une fée.
Je m’attendais évidemment à ce que le Peuple Loup parle de légendes païennes.
Le choc des cultures, entre christianisme et paganisme, a toujours été montré de façon bienfaisante. Brendan est chrétien mais il est ami avec une fée. La mère de Ben est personnifiée comme la Vierge, et sa fille est une selkie. Dans le Peuple Loup, on nous montre plutôt à quel point certains colons ont voulu forcé la religion. En effet, au début du film, le paysan Sean déclare que Saint Patrick, figure emblématique de la religion Irlandaise, a passé un pacte avec les loups : le christianisme rencontre le paganisme de façon douce, bienveillante. En revanche, l’antagoniste prie, pense faire au mieux en recevant des messages de Dieux et se suicide en récitant une prière, préférant mourir que de devenir un Wolfwalker, une hérésie. A chaque fois qu’on le voit dans le film, il parle d’hérésie et de brûler des choses (ce qui n’est pas sans rappeler un certain Claude Frollo…) La rencontre entre christianisme et paganisme est violente à cause d’un chrétien qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
Pour appuyer encore plus cette idée, Robyn et Bill, qui viennent pourtant d’Angleterre, n’ont pas l’air très pratiquants. On dirait que la chose n’intéresse pas Robyn, et que son père ne l’y a jamais forcé. Cependant, arrivés sous le joug du lord-protecteur, Robyn est forcée de travailler, et son père dit alors une phrase intéressante (traduit en français par « le travail c’est la santé » malheureusement) : « Work is prayer », soit « Travailler c’est prier ». Quand il le lui redit un soir, elle répond ironiquement « Alors j’ai récité toute la Bible ». Ainsi, le film ne critique pas la religion en soit, mais plutôt ceux qui forcent d’autres personnes à pratiquer une religion qui ne leur parle pas.

Ce qui nous amène au deuxième point le plus visible : le colonialisme.
Dans nos contrées françaises, le nom de lord-protecteur ne sonnera que comme un titre pompeux. Mais en Irlande, il rappellera plutôt le militaire et dictateur régicide Oliver Cromwell. Né en 1599 et mort en 1658, il est parfois adulé mais principalement détesté en Irlande pour ses nombreux génocides au nom de la religion. En effet, entre 1649 et 1653, il mène dans le pays une reconquête anglais, allant jusqu’à tuer des civils désarmés et des hommes qui se sont rendus. La guerre qu’il a mené a engendré une famine qui a tué jusqu’à 600 000 personnes, et 50 000 autres ont été déportées pour du travail forcé.
Le Peuple Loup met donc bien en scène un Cromwell caricaturé, puisque l’action se déroule en 1650, année durant laquelle il a mené sa reconquête. Les personnages de la ville le haïssent, comme on peut le voir avec certaines scènes avec les enfants et d’autres avec les adultes, et enfin, un petit détail visuel, Cromwell a toujours été représenté avec deux ou trois furoncles sur le visage, chose faite par le film.
Le Cromwell du film n’est pas sans rappeler ces méchants de films qui conquièrent de nouvelles terres sans en avoir rien à faire des habitants, ce qui est une très net critique du colonialisme. L’antagoniste est froid, antipathique, enferme les villageois et les enfants, va tuer les loups qui sont ici une métaphore des humains à qui on vole les terres… Et c’est là que le film se termine sur une note douce amère : les loups sont déportés. Ils ne peuvent plus vivre chez eux et doivent quitter la tanière ancestrale des wolfwalkers pour partir et chercher une liberté qu’ils n’auront jamais, car à peine cent ans plus tard, tous les loups d’Irlande ont été tués. Tout comme les natifs de chaque terre envahie par des colons, qui luttent encore aujourd’hui pour leur liberté.

Enfin, quelque chose de plus subtil que j’ai peut être inventé mais c’est mon ressenti personnel qui parle : le lord-protecteur est une allégorie de l’homophobie, ou plutôt une métaphore de la peur des gens dits « différents ».
Cromwell a une idée très religieuse de la différence et de l’inconnu en voulant tout brûler. Cette idée, il la transmet indirectement aux gens de la ville, qui veulent tuer les loups qui leur font peur, ou bien aux enfants qui veulent mettre en cage tout ce qui est différent d’eux (Robyn puis Mébh). Or normalement, quand on est enfant, on a plutôt tendance à vouloir jouer avec l’inconnu, à en être curieux. C’est pour ça que dans le film, la première personne qui est réellement gentille avec Robyn, c’est Mébh. Elle joue avec elle, s’amuse à la bousculer avec ses loups, à la faire courir et tomber, et Robyn se prend au jeu. Les deux se découvrent grâce à la curiosité et au jeu, alors que les adultes réagissent face à un loup avec de la peur et de la méfiance.
Cette méfiance envers Robyn est démontrée par le fait qu’elle est anglaise, mais il y a plus : c’est une jeune fille qui casse les codes sociaux, qui veut aller en forêt au lieu de travailler. Quand son père déclare que travailler est « une bonne vie pour une jeune fille », Robyn répond « Ce n’est pas une vie pour moi », répondant indirectement qu’elle ne se voit pas comme une jeune fille de la société, mais comme un homme de la société, l’homme qui va aller en forêt.
On a cette même idée avec Mébh qui dit à Robyn « Une chasseuse, une petite fille comme toi? », Robyn qui répond « Eh bien, tu es une fille toi aussi ! » et Mébh qui finit par « Je ne suis pas une fille, je suis une wolfwalkers ! ». Sous texte : je n’ai pas à répondre aux genres donnés par la société humaine, je suis une définition de moi, pas une définition de la société.
La relation extrêmement ambiguë entre Robyn et Mébh accentue encore plus cette idée. Non seulement les deux personnages forment un cercle parfait, un tout, quand elles sont ensemble, mais elles ont des gestes très proches et doux l’une pour l’autre. Robyn essaye de se plier à la société, avant de réellement s’épanouir aux côtés de Mébh et de devenir quelque chose qui fait peur à la société. Le moment le plus fort pour moi, outre celui où les deux petites se regardent tendrement dans les yeux à un centimètre l’une de l’autre, c’est quand Robyn confronte directement le lord-protecteur pour ce à quoi elle croit et que ce dernier la menace du pilori. A ce moment-là, visuellement, elle ressemble à toutes ces figures de femmes qui ont tenté de parler à plus haut qu’elle et qui ont finit au bûcher. Et si on voit évidemment Robyn qui lui demande de libérer un wolfwalker, allégoriquement, je vois vraiment une jeune fille qui veut vivre qui elle est, tente de le montrer et se fait punir pour ça.

Si Cromwell est un méchant cliché, personne n’a jamais dit que les clichés étaient mauvais. Encore aujourd’hui, on tente de combattre les restes du colonialisme, c’est à dire le racisme. Particulièrement de nos jours, certaines religions sont utilisées à outrance pour des raisons extrêmement obscures que seuls les pratiquants comprennent. A ce jour, il existe encore des pays où l’homosexualité est un crime, et d’autres où des personnes LGBTQ+ ne peuvent pas vivre à cause des réactions effrayés d’adultes. On a donc encore besoin de films qui expliquent ce qui est bon ou mauvais pour notre société. Et dans le Peuple Loup, on dit au diable le colonialisme et la religion, soyons païens et allons vivre dans la forêt avec nos copains les loups et de jeunes personnes LGBTQ+ pour être libre.

C’est pour ça que le mythe du lycanthrope utilisé par le film est extrêmement intéressant : les mythes et légendes sont basés principalement sur la peur, au temps où on ne comprenait pas tout. C’est à dire qu’à une époque, les loups-garous ont été inventés pour expliquer la sorcellerie, ou encore pour rejeter les mauvais individus de la société. A comprendre : les guérisseurs et les personnes LGBTQ+.

III- Misogynie : le sexisme et la cage

Maintenant, il va falloir parler du plus gros sous-texte du film : la misogynie de notre société.
D’abord et avant tout, parlons de Robyn et Mébh. Il s’agit de deux personnages d’une fraîcheur incomparable. Deux jeunes filles du même âge qui ont des qualités comme des défauts. Les deux se ressemblent beaucoup : elles pleurent tout comme elles s’énervent, elles suent (c’est important de le dire parce que rien que dans Disney, il n’y a qu’un personnage féminin qui sue, dans tous leurs films), elles ne parlent jamais de tomber amoureuses ou d’être belles, elles savent guérir tout comme elles peuvent se battre, c’est seulement métaphorisé mais elles vont jusqu’à tuer (c’est tellement étonnant que deux petites filles parviennent à tuer de gros soldats en armure que c’est écrit trois fois dans mes notes)…
J’avais un peu peur que Mébh m’agace mais au final elle est vraiment attachante, à la manière de Koda dans Frère des Ours, et plutôt rigolote quand elle s’agace gentiment avec Robyn.Elle est aussi terriblement touchante quand elle raconte à sa maman la journée qu’elle a eu, avant de s’effondrer en pleurant et en lui demandant où elle est passée. Quand à Robyn, elle est tout aussi touchante dans son envie d’évasion, mais surtout elle a une classe certaine, quand elle se détache les cheveux pour se placer entre Moll et l’arbalète de son père, ou encore quand elle aide Bill à se débarrasser du lord-protecteur, arbalète à la main.
De manière générale, les deux personnages ont ce côté non-genré extrêmement rafraîchissant. Si certains auraient pu appeler Mébh une garçon-manquée parce qu’elle vit dans les bois, est toute salie et ne se peigne pas, elle est très attachée à sa maman et pleure beaucoup, cassant les codes habituellement attribués aux garçons. De même, si Robyn porte une tenue plus féminine, est plus fine et gracieuse que Mébh, c’est elle qui se bat dans le film. Rien à dire, les personnage ne sont pas vus seulement comme deux petites filles mais juste comme des personnages qui peuvent faire ce qui leur plaît.
Les deux ont en différence l’endroit où elles sont nées. C’est peu de choses mais on voit clairement qu’elles n’ont pas été élevées de la même manière. Ainsi, quand Mébh croule sous la responsabilité de prendre soin de la meute, Robyn demande à qui veut l’entendre à avoir des responsabilités, mais n’en a jamais, sauf à la fin quand elle est elle-même en charge de l’attaque. Pourquoi ? Parce que dans la forêt, femelle ou mâle, on s’en fiche, alors que dans la ville, les femmes sont en dessous de tout.
De même, Robyn passe le film a appelé ses parents « Père » et « Mère », qui est une forme très soutenue qui montre la différence entre adulte et enfants, alors que Mébh appelle sa mère « Maman », forme beaucoup plus sentimentale.

Ce qui nous amène donc à la critique du sexisme de notre société. En Angleterre, Robyn avait le droit de chasser pour se nourrir avec son père : maintenant, elle a le droit de passer le balais. C’est tellement macho que c’est bizarre à écrire.
Ce que je trouve drôle c’est que l’idée de parler du sexisme n’est pas venu directement durant l’écriture du film, c’est venu naturellement. Comme dans le Secret de Kells et le Chant de la Mer, le protagoniste était un garçon et le deutéragoniste une fille. Puis à un moment ils se sont rendu compte que Robyn ne pouvait pas être un garçon parce que, plus tard, il aurait le droit de sortir dans la forêt et devenir un chasseur. Ils ont compris que Robyn devait être une fille à qui on aurait tout refusé le long de sa vie. Et, afin de mieux écrire le personnage, ils ont fait relire l’histoire par plusieurs femmes pour bien savoir si l’idée de l’oppression machiste était respectée.
En fait, dans son idée, le film ressemble à Rebelle, des studios Pixar. Cependant, il y a un problème à Rebelle : on perd le sous-texte sexiste pour partir sur un enchantement en ours et on finit avec une jeune fille qui doit dire « Oui tout est de ma faute ». C’est assez dérangeant parce qu’on ne critique plus les affres de la société qui impose à cette jeune fille un mariage dont elle ne veut pas, une vie dont elle ne veut pas, on finit le film avec « Elle choisit ce qu’elle veut mais seulement parce qu’elle a avoué que ce qu’elle voulait n’était pas bien », ce qui est un raisonnement assez étrange.
Dans le Peuple Loup, la société sexiste est mieux abordée parce que le père est montré comme celui qui bloque sa fille, et la fille est le bon exemple à suivre.
Ainsi, le film est vraiment puissant quant à cette idée, on sent vraiment que Robyn est prisonnière de la ville d’où ne peuvent sortir les enfants, elle est forcée de travailler dans l’arrière-cuisine, avec des femmes qui ont toutes vieilli prématurément, par un travail montré comme à la chaîne, et par conséquent on a envie comme elle de sortir, de se libérer. Elle est aussi souvent emprisonnée dans les bras de son père, tentant de s’en sortir sans y parvenir, et la seule fois où elle y arrivera, c’est en devenant louve.
Une phrase qui passe très vite à la trappe mais qui n’est pas anodine est quand, après s’être fait fâchée par Bill, Robyn déclare « Mère m’aurait écoutée elle ». La figurine maternelle, la femme, l’aurait écoutée elle, l’autre femme. En soit, Bill n’est pas foncièrement méchant. Dans les trois films de Cartoon Saloon, il y a une figure paternelle imposante et voûtée qui ne veut pas écouter son enfant (Conor fait taire son fils plusieurs fois, et Cellach enferme carrément Brendan dans sa chambre à clef) parce que aveuglée par quelque chose (Conor par sa tristesse, Cellach par sa peur) mais qui finit par voir la vérité en face et comprendre son enfant. Dans chacun de leur film, le père n’est donc pas un personnage violent mais juste quelqu’un qui a peur. Ce que j’aime c’est qu’ils ont vraiment fait dire à Bill « J’ai peur pour toi » car ainsi on comprend parfaitement le personnage. Il a peur qu’il arrive quelque chose à sa fille et lui fait faire ce que la société attend car « C’est pour ton propre bien ».
Mais pour encore plus montrer que c’est la peur qui le dirige, Robyn elle-même finit par enfermer Mébh, en déclarant elle aussi « C’est pour ton propre bien ». Deux personnages ont peur que leur proche soit enfermé, et il les enferme pour les sauver. Parce que dans notre société, on a le devoir d’aller à l’école, le devoir de travailler pour son pays, le devoir d’écouter des hommes politiques qu’on ne comprend pas, le devoir d’avoir des enfants et une famille. Si on ne suit pas tout ça, on est moqués, catalogués et enfermés par un système carré dont on ne peut échapper.

Ce symbole du devoir est montrée tout au long du film par la cage. De nombreux personnages sont en effet montrés derrières des barreaux, que ce soit Sean le paysan, Robyn évidemment, Mébh, Moll, les soldats, Cromwell, et Bill.
C’est Robyn qui est la protagoniste de l’histoire donc c’est elle qui a le droit à de nombreux plans où elle apparaît comme emprisonnée par des barreaux. Et quand je dis nombreux, ce ne sont pas trois ou quatre plans, mais quinze. Quinze fois dans le film, Robyn apparaît derrière des barreaux de fenêtres, derrière des cages, derrières des grilles. La seule fois où elle parvient à en sortir, c’est quand elle se transforme pour la première fois en louve et va ouvrir sa fenêtre ; puis elle la refermera en tant qu’humaine.
Robyn est aussi toujours présente quand un autre personnage est enfermé. Si au début du film elle réussit à libérer Sean, au milieu elle ne parviendra pas à ouvrir la cage de Moll, et à la fin, elle sera même celle qui enferme Mébh. Robyn est donc la prisonnière de cette société qui impose aux femmes de travailler, elle va parvenir à libérer un homme, mais n’y arrive pas quand il s’agit d’une femme et referme même les codes de la société sur une autre fille.
Cependant, Mébh ne reste pas enfermée longtemps et en plus, elle brise elle-même ses barreaux, montrant ainsi qu’elle casse les codes de la société, qu’elle n’y adhère pas.
Plus le film avance, plus Bill apparaît dans ces plans d’enfermement. Notamment vers la fin, quand il force Robyn et se force à travailler, et qu’il met le casque des soldats qui met sa tête directement dans la cage de la société. Le seul moment où il peut sortir de cette cage c’est quand il devient un loup, comme Robyn. La morale est donc que Robyn avait raison, qu’elle se sent et qu’elle est enfermée, et son père, quand il la comprend enfin, devient comme elle.
Cependant, avant la compréhension, il y a cet échange qui est génial, qui vient parfaire toute la symbolique du film:
« -Robyn, arrête ça ! On doit faire ce qu’on nous dit.
-Pourquoi, père, pourquoi ?
-J’ai peur ! J’ai peur…
-Père… ?
-Je ne serais pas toujours là pour te protéger. J’ai tellement peur que tu finisses
dans une cage…
-Mais je suis déjà dans une cage ! »
A ce moment là j’avais envie de sauter de joie. C’est tellement délivrant d’entendre le personnage qui a été enfermé psychiquement dans cette ville, dans cette société, dans ce rôle qu’on lui a imposé dès sa naissance ! Robyn a été cataloguée par une société machiste comme femme et donc comme un être uniquement capable d’enfanter et de passer le balai, au détriment de ses réels besoins et envies qui sont de parcourir la nature. Et le film montre que c’est un besoin vital que l’on doit écouter : Robyn veut être libre, veut vivre avec la nature ? Ça tombe bien, de nos jours, c’est ce dont on a besoin. Ce n’est pas à elle de s’excuser d’être née comme ça, mais à son père, qui incarnait les dérives de la société machiste, de faire attention à ses besoins et même de comprendre que la société était mauvaise. Et ça, c’est un message qui me parle énormément, moi qui ait du mal à comprendre la société dans laquelle on vit. Je ne veux pas être cataloguée comme machine reproductrice qui ne peut s’élever dans les rangs du système. Je me sens déjà dans une cage, incapable de faire ce que je veux à cause du jugement de la société.

IV- Direction

Le film est donc plein de messages importants et les traite parfaitement et avec subtilité. Seulement, il y a beaucoup de films qui se perdraient avec autant de problématiques et qui ne délivreraient qu’un film psychologique martelant un message lourd. Ce n’est pas le cas ici puisque la direction artistique est tout aussi exceptionnelle.

Le studio a depuis douze ans développé sa propre patte graphique et on la reconnaît tout à fait son environnement à plat, tel une illustration ancienne, ainsi que les traits simples des personnages.
Comme toujours, la dualité des formes rondes et carrés se disputent : ici, le carré évoque la ville, l’Homme, les barreaux, tout ce qui caractérise un enfermement et un danger. A l’inverse, la forêt possède des arbres ronds, voluptueux, qui évoluent dans un décors désorganisés très agréable pour les yeux.

En revanche, le studio a amené quelque chose de tous nouveaux dans ce visuel, et ça se situe au niveau des personnages.
Tous ceux qui vivent en ville ont des beaux traits simples, agréables à l’œil, finis et sommes toutes banals. Tout ça est parfait et ne comporte aucun défaut.
A l’inverse, les animaux de la forêt, les loups, et Mébh et sa mère sont faits de traits de brouillons. Si vous n’avez jamais dessiné, la technique qui est la plus souvent utilisée dans tous domaines est celle de fait un brouillon avec de nombreux traits, afin de tous les relier et que leurs marquages forment la silhouette du trait principal que vous allez utiliser pour dessiner plus en profondeur par dessus.
Ici, donc, tout ce qui est lié à la forêt est fait en tracés de travail : on voit les premières formes qui composent Mébh, sa tête, ses cheveux, on voit tout le travail derrière chaque loup, chaque animal… Il y a des traits dans tous les sens, c’est vraiment l’ébauche du travail qui se trouve sous les couleurs.
Robyn et son père sont les deux exceptions à la règle : Robyn commence le film avec un tracé net, on voit parfaitement ses lignes de contours. Puis quand elle se fait mordre par Mébh, et qu’elle a sa première vision de loup, tout de suite ses traits sont brouillons, plus fins et moins marqués.
Le visuel aide donc à comprendre le bien du mal, mais aussi la nouvelle vision du monde des personnages, quand ils se mêlent à la ville ou à la forêt.
Le film joue avec ça plusieurs fois, notamment quand Robyn se recoiffe pour paraître moins sauvage et qu’elle perd ses traits brouillons pour revenir à un tracé plat et net.

Il y a aussi un jeu avec la couleur rouge. Le rouge, évidemment, c’est le sang, la colère. Cromwell apparaît toujours dans un décors rougeoyant, avec un feu qui fait mal aux yeux, et même quand Bill se met en colère, les couleurs commencent à s’emballer.
Par moment on a aussi des jeux avec le cadre. Parfois, il semble se refermer sur Robyn comme pour l’emprisonner, notamment vers la fin du film où elle se fait presque avaler par le cadre noir, avant de se libérer et de le rouvrir.
Il y a de même certaines transitions entre deux scènes où apparaissent les décors sans couleurs, juste des tracés. C’est original et très joli.
Enfin, le visuel de la vision loup est très joli. Il y a peu de couleurs, puisque les loups ne peuvent distinguer certaines couleurs, mais les odeurs sont visibles, pour montrer à quel point elles sont entêtantes. C’est très joli et agréable à voir.

Au niveau de la musique, je dois dire avoir été moins emballée que pour les deux autres films du studio. C’est une bande-originale pleine de qualité mais je trouve que l’on manque de violon et de flûte irlandaise. Ainsi, on a plutôt une musique d’ambiance, quand celle-ci ne disparaît pas complètement pendant certaines scènes alors qu’elle aurait pu les sublimer. Bref, si c’est une bande son de qualité que nous a offert Bruno Coulais, je reste un peu sur ma faim.

Dans les films de Cartoon Saloon, les prénoms des personnages sont toujours très importants.
Robyn était le prénom du garçon protagoniste. Jeu du sort, quand les scénaristes ont changé le genre du personnage, le prénom a pu rester le même car il est mixte. Rappelant le nom de Robin des Bois, il signifie « clarté ».
Assez ironiquement, Bill est le diminutif de Robert, qui a la même origine que le prénom Robyn.
Moll, la mère de Mébh, porte un vieux prénom irlandais qui signifie « rébellion », ce qui à mon sens caractérise bien le moment du film où Robyn s’enfuit avec elle, quand elle se rebelle contre le système et la société.
Enfin, Mébh a, je trouve, le nom le plus intéressant. Déjà, elle clame haut et fort qu’elle s’appelle Mébh Óg Mactíre. Or on l’a vu plus haut, Mac tíre est l’ancien nom irlandais des loups. En entier, son nom veut dire « Jeune louve » ou « Jeune fille de la lande ». Son prénom quand à lui a deux sens : le premier est « celle qui intoxique », ce qui est littéral puisqu’elle mord Robyn et la transforme en wolfwalker, et il signifie aussi « la cause de grande joie », ce qui est tout autant le cas.

Il y a aussi une symbolique très forte des animaux chez le studio. Déjà, Robyn est toujours accompagnée de Merlyn, un faucon. Chez les celtes, les faucons étaient symbole d’un grand changement dans la vie à venir, ou bien si on en voyait un, il était temps de faire un point sur sa vie et sur ce qu’on devait y changer. En bref, le faucon va très bien à Robyn, puisque sa vie va grandement changer à la fin du film.
Ensuite, il y a bien évidemment le loup. S’il est parfois mal vu dans d’autres peuples, chez les celtes, il était vénéré, avant que les anglais ne veulent les tuer. Ils étaient vu comme des guides ou des protecteurs, comme le symbole même de la nature.

Pour finir, il faut avouer que le film est une sacré claque, que ce soit niveau histoire, émotions ou personnages. L’histoire est prenante, le rythme soutenu au départ (Robyn ne se transforme en louve qu’au milieu du film, et ce moment libérateur est très vite oublié devant les dangers des humains) puis s’accélère à la fin. Les enjeux sont nombreux durant la bataille finale et on s’attend à tout moment à ce qu’un personnage meurt.
D’ailleurs, j’avais lu quelque part que le film ressemblait beaucoup trop à ses prédécesseurs, ce qui n’est pas du tout mon ressenti. Le Chant de la Mer est beaucoup plus calme et poétique, se reposant sur des moments simples : il s’agit d’un conte adaptant d’anciennes légendes celtiques à notre époque. Quant au Secret de Kells, il est étrange et très métaphorique, tout en étant assez complexe à comprendre, puisqu’il parle de croyances et de la peur de l’inconnu. Je qualifierais donc le Peuple Loup de fable sur la dureté et les dérives de notre monde, un film prenant et magique.

CONCLUSION

Le Peuple Loup est donc un vrai bol d’air frais dans l’animation. Je l’attendais depuis cinq ans et je n’ai pas été déçu. Mêlant une histoire magnifique avec des décors sublimes, il se permet de critiquer les affres de notre société en nous questionnant sur le droit des animaux, l’oppression colonialiste, religieuse, queerphobe, notre rapport à la nature, en bref, toutes les oppressions que le monde des Hommes construit depuis que nous existons.
Il fait aussi s’entrechoquer le sauvage avec le l’apprivoisé, les dangers de la liberté avec la sécurité d’une cage, et l’instinct avec la logique.
L’antagoniste déclare que tout ce qui ne peut être apprivoisé, les loups comme les femmes, doit être brûlé, alors que le film nous montre que la nature sauvage est la délivrance.
Robyn veut vivre dangereusement et libre dans la forêt car c’est là qu’elle se sent vie, et pas dans l’arrière-cuisine où elle est en sécurité à être obligée de passer le balai.
Enfin, la logique des soldats ne sert à rien à la fin du film face à l’instinct de Robyn, Mébh et Bill.
Cartoon Saloon réussit une fois encore à offrir un film d’animation d’une beauté rare, en s’octroyant même le droit de critiquer une société de plus en plus corrompue. Si j’apprécie le Secret de Kells pour son étrangeté, le Chant de la Mer pour sa simplicité, le Peuple Loup restera dans ma mémoire pour sa complexité. Si ce film était sorti quand j’étais plus jeune, je sais qu’il ferait parti de ces long-métrages que je regardais quasiment tous les jours.

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