Ce qu’il me faut, c’est le pissenlit du printemps.

Vers la fin des années 2000, il y a eu une réelle ruée vers l’adaptation de livre au cinéma. Très probablement lancée après le succès du Seigneur des Anneaux, cette tendance en a fait émerger une autre : celle du « film pour jeune adulte ».
Divergente, Hunger Games, Twilight, Percy Jackson, Harry Potter, le Labyrinthe… La plupart de ces films à succès sont aujourd’hui beaucoup critiqués, et les livres le sont tout autant. Parce que c’est pour les jeunes, ce n’est pas de la vraie littérature et ça ramollit le cerveau. Parce que ce n’est pas écrit avec un langage soutenu. Parce que ça met en scène des adolescents.

Si je n’ai jamais lu Divergente, j’ai posé mes yeux sur le reste des adaptations. Une pensée très claire en est ressorti : les livres sont nettement meilleurs. Alors que tout ce qui faisait le sel de Harry Potter, tous ces petits détails qui font qu’on a envie d’être un sorcier et aller à Poudlard se sont retrouvés supprimés, les films qui en ressortent… Je ne dirais pas qu’ils sont mauvais. Seulement je les ai toujours trouvés ennuyants, il y en a que je n’ai jamais revu, alors que je relis les livres tous les ans.
Je ne m’attarderais pas sur Twilight, puisque le seul intérêt qu’ont les livres réside dans les personnages secondaires. Supprimant tout ça, les films sont ennuyants et longs et franchement pas intéressant.
Percy Jackson et le Labyrinthe ont été saccagés. Alors que le premier va avoir droit à une rédemption en série, le deuxième a été inexplicablement acclamé par certaines critiques, alors que tout l’intérêt des livres (dont le deuxième tome est un de mes préférés) réside dans le suspens. Pendant trois livres, on se pose des questions, des questions, des questions. On ne sait pas à qui se fier, même le personnage principal nous met parfois mal à l’aise, et le road-trip qu’on nous offre parmi les ruines d’un ancien monde civilisé est magistrale. Les réponses à nos questions ne nous arrivent que dans les deux préquels qui ne seront jamais adaptés au cinéma, ce qui manque clairement de logique et contribue à donner raison aux détracteurs des films qui pensent que rien n’y est expliqué.
Enfin, nous avons Hunger Games. Peut être une des sagas les plus appréciées au cinéma, je regarde pourtant le premier film d’un très mauvais œil, et ce dès que je l’ai découvert. Alors que les suites sont plutôt ennuyantes, même si j’aime bien revoir certains passages, je n’ai jamais revu le premier film depuis que je l’ai découvert en 2013.
Je ne vais pas ici jeter la pierre à ceux qui aiment le film. Mon but est seulement d’expliquer pourquoi, selon moi, il s’agit d’une très mauvaise adaptation d’un livre qui vraiment bon. Pour ceux qui ne l’auraient jamais lu, j’expliquerais le plus possible afin que personne ne soit perdu.

J’avais douze ans quand j’ai lu la saga. Le film venait juste de sortir au cinéma mais je ne crois pas être allée le voir, préférant finir les trois livres. Si à l’époque j’avais largement préféré le premier livre aux deux autres, aujourd’hui mon choix plus contrasté se pencherait plutôt sur le deuxième bouquin.
La saga peut s’expliquer de cette manière : il y a le premier livre de la trilogie qui nous montre la participation de Katniss aux 74ème Hunger Games. Le deuxième nous montre le début de la révolution des districts contre le Capitole, et la seconde participation de Katniss dans ces jeux de la faim. Et le dernier livre nous parle de la révolte, du rôle de Katniss dans tout ce joyeux bazar et nous offre une fin qui fait littéralement un doigt à toutes les fins clichés auxquelles on pourrait s’attendre.
Les clichés. Voilà tout ce qui reste de cette saga quand on en parle avec certains « cinéphiles ». « Une dystopie banale avec un triangle amoureux. »

Or il suffit de se pencher un tout petit peu pour se rendre compte que non. Hunger Games présente une société réfléchie de A à Z par une autrice qui a de l’idée et d’excellentes bases militaires.
Hunger Games nous présente les derniers être humains sur Terre, vivants dans les ruines de l’Amérique du Nord, qui vivent dans un pays appelé Panem. Ce pays est divisé en treize part : le Capitole, la capitale richissime et treize Districts qui chacun subviennent aux besoins de la capitale en vivant dans la misère.
Le tableau qu’on nous dépeint est donc celui d’un pays nommé d’après l’expression Panem et circensens. L’auteur de cette expression dénonçait le fait que les habitants de Rome ne se souciaient pas du destin collectif car ils se laissaient aller à la nourriture et au divertissement. C’est exactement ce qui se passe ici pour le Capitole : personne ne dit rien sur le fait qu’ils vivent dans une société totalitaire avec un président qui s’est élu lui-même depuis plus de trente ans car les Districts leur fournissent à foison de la nourriture et du divertissement avec les Hunger Games. Les habitants du Capitole vivent dans une débauche d’argent et de nourriture tout en s’ennuyant. Les excès esthétiques sont monnaie courante, on veut paraître jeune alors que dans les districts on meurt jeune, on veut paraître maigre alors qu’on a de la nourriture… L’image même de la débauche humaine.

Autour du Capitole se trouvent les districts. Une chose que le film a mal montré c’est la compétitivité qui se déroule dans le pays. Ainsi, j’ai vu beaucoup de gens se demander pourquoi les districts ne s’allieraient pas entre eux contre le Capitole : parce que les districts ne s’entendent pas entre eux. Le voyage entre chaque district est prohibé, et ce que chacun sait des autres est seulement le domaine global qu’il exerce (pour un rapide récapitulatif : le Un fabrique les bijoux et autres choses précieuses ; le Deux l’armement et les forces de l’ordre ; le Trois l’électronique ; le Quatre la pêche ; le Cinq l’énergie ; le Six les transportes ; le Sept le bois et le papier ; le Huit le textile ; le Neuf le blé ; le Dix le bétail ; le Onze l’agriculture et le Douze le charbon). Les districts les plus proches du Capitole, à savoir le Un, le Deux et le Quatre sont les laquais de la capitale, grâce à leur positionnement ou leurs produits de luxe. Ainsi leur population échappe à la pauvreté du reste du pays, et même s’ils sont moissonnées chaque année pour les Hunger Games, remporter les jeux y est vu comme un grand honneur. Ainsi, Katniss décrit les habitants de ces districts comme des « salopards arrogants, bien nourris […] Unanimement et farouchement détestés par tous les membres des autres districts ». Ainsi, si le gouvernement laisse les jeunes de ces districts s’entraîner pour les Jeux, bien que ce soit interdit, c’est pour encore mieux diviser le pays. Dans le troisième livre, le District 2 est le seul à ne pas avoir cédé à la Révolution à la fin, protégeant toujours farouchement le Capitole.
Ainsi, si les districts ne s’allient pas, c’est parce qu’ils se détruisent entre eux. C’est quelque chose qui est déconstruit dans le troisième livre et quatrième film par une Katniss en colère qui dit qu’elle n’a aucune raison de combattre les gens des autres districts, hormis les raisons que lui ont données le Capitole. Le modèle social va donc plus loin que ce que nous dit le film, qui nous explique seulement que les tributs de carrière s’entraînent dans des camps spécialisés depuis leur naissance : les tributs de carrière s’entraînent parce que les Hunger Games là-bas sont vu comme un rite de passage, comme un moyen de vivre dans le bonheur et la gloire, de s’élever au dessus du rang des esclaves du pays.
Le film, par une simple phrase, échoue donc à nous expliquer que si les districts ne s’allient pas entre eux, ce n’est pas parce que l’écriture du modèle social de cet univers est bancale, mais juste parce qu’il n’a pas su nous expliquer le pourquoi du comment. Les districts se haïssent entre eux parce que le Capitole en favorise certains, ils se détestent et s’entre-tuent dans les Hunger Games, alimentant encore plus cette haine, alors que le Capitole s’en sort complètement blanchi.

Pour encore mieux appuyer ce conditionnement, cet écartèlement entre les districts, Suzanne Collins utilise quelque chose de très simple : les prénoms. C’est extrêmement subtil dans le livre, mais Katniss donne un commentaire à un moment qui fait réfléchir : « La fille, Glimmer, comme j’entends un de ses compagnons l’appeler -ces prénoms qu’on leur donne, au district Un, je vous jure ! ». Katniss rigole d’un prénom alors que le long de la saga on rencontre énormément de personnages possédant des prénoms étranges pour nous ou du moins qu’on ne connaît pas. Un tableau très simple se dresse alors parmi les districts les plus importants à l’histoire :

  • Le Capitole : Cӕsar, Castor et Pollux, Atala, Cinna, Plutarch, Coriolanus… Des prénoms romains pour donner de la grandeur à chaque naissance de la ville.
  • District Un : Glimmer (« chatoiement »), Cashmere (« cachemire »), Gloss (« brillant »)… Les prénoms font écho aux produits précieux que le Un façonne.
  • District Deux : Cato, Clove (« fendre »), Brutus, Enobaria, Lyme (« la chaux »)… Le district Deux est le plus proche du Capitole, donc certaines des prénoms sont des prénoms romains. D’autres évoquent le passé du district qui était minier, quand d’autres font plus état de la brutalité de sa population.
  • District Trois : Teslee, Beetee, Wiress… Les prénoms rappellent des formes anglicisées de produits électroniques : le tesla, le BT, et une version raccourci du mot « wireless », « sans-fil.
  • District Onze : Rue (une plante à fleurs jaunes, mais aussi « regretter »), Chaff (« ivraie »), Seeder (« Semeur »), Thresh (« battre le blé »)… Tous les prénoms font écho au côté agricole du district.

Ainsi, chaque district possède un savoir faire différent qui va au delà du travail : il s’agit de leur vie entière, toute tracée dès leur naissance. Ça paraît anodin mais ça démontre encore plus que chaque région de Panem est cloisonnée dans ses murs, que personne ne peut communiquer, ne peut entrer ni sortir. Un régime totalitaire simple mais efficace.

Cet enfermement sans précédent, dans les prénoms, les classes sociales et les métiers, est directement mis à mal par notre héroïne. Katniss, qui ne travaille pas encore à la mine, qui ne connaît rien du charbon, qui est pauvre mais parvient tout de même à joindre les deux bouts, qui peut sortir de la clôture qui fait le contour de son district. On comprend qu’elle est une exception en tout.
D’abord, son prénom, Katniss, renvoi comme nous le dit l’héroïne, à la racine de la katniss, le nom indien de la sagittaire, une plante très nourrissante. Son prénom rappelle et sa qualité de nourricière de la famille avec la plante, et son côté indien (auquel je reviendrais plus tard), et à son don avec un arc, puisque le sagittaire est toujours représenté comme un centaure avec un arc et des flèches. Son prénom n’a absolument rien à voir avec le charbon du district, il évoque quelque chose de plus profond et plus distinct.
Les autres prénoms du district Douze ont comme attribut le fait qu’aucun ne rappelle jamais le charbon : le nom de Gale se rapproche du nom d’un buisson touffu aux feuilles amères, la myrte des marais « myrica gale » en anglais, ou encore un vent très fort. Haymith est un mot qui désigne un habitant d’un village un peu rustre. Maysilee est un prénom inventé dont la première syllabe rappelle « may », la fleur d’aubépine en anglais. Madge, une variante de Margaret qui signifie « perle ». Delly, une petite allée boisée. Hazelle, la noisette. Primrose, la primevère, une fleur odorante. Dans le Douze donc, on peut voir que malgré le fait que tout le monde travaille à la mine (les femmes et les hommes, et pas que les hommes comme le film le montre), les prénoms rappellent plutôt dans leur globalité des noms de plantes. Le choix paraît curieux mais il est très vite compréhensible : le Douze est le plus petit des districts, complètement ignoré par le Capitole tant qu’il produit son quota de charbon. Si beaucoup n’osent même pas aller au Marché noir de la ville, Katniss et tout son entourage n’hésite pas à briser la loi pour subvenir à leurs besoins. Alors que le Douze semble être un district miséreux, il est le seul où des habitants osent faire des choses illégales.
Dans le deuxième livre, Katniss déplore le fait que les tributs du Douze n’aient pas le droit de travailler à la mine avant 18 ans, alors que le métier pourrait aider les enfants moissonnés aux Hunger Games. Quand elle voit les tributs du Quatre savoir manier un trident, ceux du Trois utiliser l’électricité, ceux du Onze reconnaître des plantes et ceux du Sept se servir d’une hache, elle aimerait bien que son district puisse avoir un avantage. En fait, cet avantage il est très facilement visible pour le lecteur : ceux du Douze sont ignorés, donc si ils brisent la loi, personne ne leur dira rien. Ainsi, les quatre vainqueurs de chaque Hunger Games a remporté son édition en trichant : Lucy Gray grâce à une aide extérieure, Haymith grâce au champ de force entourant son arène, Katniss et Peeta grâce aux baies empoisonnées. Et c’est une des choses qui place Katniss comme un personnage très intéressant, puisqu’elle a été élevée en violant la loi, et c’est quelque chose de très normal pour elle de risquer sa vie pour manger.

L’univers de Hunger Games est donc loin de n’être qu’une bête dystopie avec les méchants et les gentils. Chaque détail est réfléchi, on nous explique le cadre et les enjeux de cet univers avec élégance, sans nous écraser de « Tu as vu qui sont les méchants ?! », mais en nous présentant des personnages avec une palette d’émotion, une société bancale pas si science-fictionnesque que ça, et un cadre simple.
Alors que beaucoup crient au plagiat de Battle Royal, il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre les différences entre les deux œuvres. Et, alors qu’on réduit l’histoire à un triangle amoureux, les livres prouvent que l’histoire d’amour n’est que secondaire et est une métaphore entre les choix de Katniss qui veut tour à tour s’enfuir et créer une rébellion.

On en vient maintenant à l’adaptation en film. Une adaptation, ce n’est pas comme la tendance actuelle aime à l’appeler, une « autre vision » d’une œuvre. Une adaptation, ce sont des choix.

Voilà donc comment je me positionne pour une adaptation. Il faut faire des choix réfléchis. Quand je dis que les suites d’Hunger Games m’ennuient, c’est parce que j’ai l’impression de voir en direct ce que j’imagine sur le papier. Ça n’a pas l’air comme ça mais au bout d’un moment, j’éteins le film et je reprends mon livre, puisqu’il s’agit de la même chose. Je suis contente de retrouver mes scènes préférées mais j’aimerais avoir un petit plus, des scènes inédites (par exemple, celles présentant la Rébellion sont magistrales mais trop peu nombreuses). Voir une conversation présente dans un livre, avec deux personnages qui se font face en champ – contre champ et avec des acteurs qui parfois ont l’air de se demander ce qu’ils font ici, je trouve qu’il n’y a rien d’intéressant. Donc, la mise en scène compte aussi.
Mais revenons-en au premier film. Qui a fait des choix peu réfléchis, voire complètement stupides. Et je ne dis pas ça seulement parce que certaines scènes sont parties et que je serais frustrée de cette disparition : par exemple, dans le livre, Katniss manque de mourir de déshydratation durant les premiers jours des Jeux. Cette partie disparaît du film et ce n’est pas une grande perte de scène. Là où le livre donnait du suspens, je pense qu’on n’aurait eu que des scènes plutôt ennuyantes en film.
Non je parle de changements qui créent une énorme incohérence dans l’histoire, ou des petits changements qui ne payent pas de mine mais démontre une certaine distorsion dans la narration, apportant des problèmes dans le suite du film ou dans les suites, ou encore des changements qui font que le sous-texte n’est pas respecté.

Ainsi, la plus grosse incohérence qui m’a frappée, qui m’a même choquée et qui pourtant n’a pas fait les gros titres, c’est la couleur de peau de certains personnages.
Si Suzanne Collins reste assez vague dans beaucoup des traits de ses personnages, il en ressort clairement quelque chose : dans les livres, Katniss se décrit elle-même et plusieurs autres comme ayant un « teint olivâtre » ou un « teint mate ».
Eh oui, quand on rend un personnage blanc racisé, tout le monde crie au scandale (oui il y a eu un scandale pour la couleur de peau de Cinna, qui n’est pourtant absolument pas gênante, loin de là), mais quand on whitewash (« blanchi ») un personnage racisé, plus personne ne crie. Et pourtant, quelle incohérence dans l’esprit du livre ! Parce que au fil des bouquins, on découvre qu’il y a un schéma certain qui se met en place.
Ainsi, dans le district Douze, il y a ceux qui habitent la Veine, le quartier pauvre du district, et qui ont tous un teint mate, des yeux gris et des cheveux noirs, ce qui inclus Katniss, Gale, Haymitch et le père de Katniss. Et il y a le quartier riche, où tout le monde a la peau clair, les yeux bleus et les cheveux blonds : Peeta, la mère de Katniss, Prim (qui a hérité des traits de sa mère)… Au Capitole, tous les personnages que Katniss rencontre sont blancs de peau : Effie, Snow, son équipe de préparation (avec une Octavia qui a même la peau verte), Plutarch… Il en va de même pour ceux du district Un et Deux, et même ceux du district Treize dans le troisième livre. Pour le reste, il y a très peu de descriptions, mais on sait à peu près que ceux du Quatre semblent avoir une peau cuivrée (possiblement due à leur travail de la pêche), ceux du Trois ont un teint cendreux, et ceux du Onze ont soit la peau noire, soit un teint mate comme celui de notre héroïne.
La conclusion est simple : les oppresseurs ou riches, que ce soit le Capitole, les districts Un, Deux et Treize ou les riches du Douze ont la peau blanches. Les opprimés et esclaves, ceux qui triment toutes leur vie, ne sont pas blancs mais sont les descendants des peuples qui ont tous subits le racisme.
Ainsi, l’héroïne principale a le teint mate, se fait tout le temps des tresses et sait tirer à l’arc. Personnellement, quand j’ai lu le livre, j’ai toujours imaginé Katniss comme une descendante des amérindiens, chose encore plus appuyée par le fait que le district Douze se trouve sur la chaîne de montagnes des Appalaches, dont le nom vient des Apaches, nom donné par les colonialistes aux Amérindiens. Pourtant, ce côté a complètement été oublié, et pas seulement parce que Jennifer Lawrence est une bonne actrice : mais parce que le casting n’a fait appel qu’à des actrices caucasiennes.
Ce qui fait que le schéma du livre qui est extrêmement simple se casse la figure dans le film. En lisant, on découvre une jeune fille amérindienne, peuple opprimé par excellence, qui incarne le visage de la rébellion des esclaves de Panem. Une jeune fille racisée qui, au côté de peuples racisés, va faire face à l’oppresseur blanc qui est symbolisée par le Capitole. Dans l’arène, Katniss ne tue que des tributs de carrière qui ont la peau blanche. Quand on découvre dans le troisième livre que Coin, la présidente du Treize, ne vaut pas mieux que Snow et qu’elle se fait tuer, c’est une commandante qui a la peau noire qui prend sa place. Le sous-texte parle de peuple opprimé qui se rebelle. Et dans le film, rien n’est compréhensible parce que quasiment tout le monde est blanc.

Dans le même genre, on a la broche de Katniss. Dans le film, c’est une vendeuse qui l’offre à notre héroïne. Alors que dans le livre, la première fois que Katniss voit la broche, elle est portée par Madge, fille du maire et amie de Katniss. Elle et Gale se font la réflexion que ce bijou, porté avec désinvolture, est en or et qu’il pourrait nourrir leurs familles pendant des mois. Ensuite, Madge offre le bijou à Katniss avant qu’elle ne parte au Capitole.
Mais c’est dans le deuxième livre que l’on comprend le véritable symbole de la broche. Katniss découvre qu’elle appartenait à la tante de Madge, une amie de sa propre mère, qui est morte dans l’arène au cours des cinquantièmes Hunger Games, agonisant sous les yeux d’Haymith. Le bijou prend un sens encore plus grand : les riches, les blancs, ne sont même pas en sécurité dans les districts, où ils peuvent se faire moissonner comme tout le monde.
Cette idée est encore plus appuyée dans le troisième livre où le corps de Madge est découvert sous les décombres de la mairie, après les attaques du Capitole. Elle n’a subit aucun traitement de faveur : elle faisait partie du Douze et devait être éliminée.

Un détail qui ne paye pas de mine, mais qui fiche en l’air la suite, c’est la mort de Tresh. Dans le film, la Renarde est tuée par les baies empoisonnées, Tresh se fait tuer par les chiens, puis Cato meurt. Dans le livre, Cato tue Tresh, la Renarde meurt, et Cato se fait tuer par les chiens. Or dans le quatrième film, Katniss déclare « c’est pour ça que j’ai tué Cato. Que Cato a tué Tresh. Et que Tresh a tué Clove ». Sauf que dans lest films, Cato n’a jamais tué Tresh, ce qui rend le discours franchement idiot.

De même, il y a le symbolisme de la mort de Rue. Dans le film, après avoir quitté le corps de Rue, Katniss adresse son signe à la caméra, et on voit que les émeutes commencent à pleuvoir au district Onze, avant d’assister à une discussion entre Haymitch et Seneca Crane, où le mentor de notre héroïne implore le Haut Juge de ne pas la tuer. Franchement, le moi de douze ans riait face à si peu de subtilité.
Dans le livre, il n’est jamais question d’émeute ou de tuer Katniss ou non. Après la mort de Rue, celle-ci reçoit un pain envoyé du district Onze. Elle devine qu’il était d’abord pour Rue mais qu’ils ont décidé de lui envoyer quand même, et les remercie. Ce geste, qui paraît anodin, est le premier échange allié entre deux districts (autre que les alliances de carrières qui finissent, comme le dit Katniss, avec un coup de couteau dans le dos). Ce geste est un indice subtil qui démontre que Katniss peut devenir dangereuse, elle peut devenir le symbole qui unira les districts, mais personne ne le comprend encore vraiment, et surtout pas Haymitch et Seneca Crane.

Enfin, voilà des petits détails qui paraissent anodins mais qui ont soit leur importance, soit leur logique.
Déjà, le chat de Prim s’appelle Buttercup, qui signifie bouton-d’or, d’après al couleur de son poil. Si on le voit à peine dans le film, on peut voir qu’il est noir et blanc. Pourquoi prendre la peine de montrer un chat de la mauvaise couleur si c’est pour le voir deux secondes ?
La corne d’abondance est censée avoir une jolie couleur dorée et rappeler les cornes en paille où l’on met la nourriture, quelque chose que tous les districts connaissent même si pour eux la corne d’abondance rappelle un rêve inimaginable, faute de nourriture chez eux. Hors le film la montre grise et étrangement moche.
Les parachutes argentés sont bien jolis, ils apportent de la nourriture ou des objets dans le jeu. Cependant, le fait de leur avoir rajouter un son de clochette dans le film est d’une débilité absolue puisqu’il s’agit du meilleur moyen de se faire repérer par les ennemis.
Au début du film, on nous montre une Prim complètement apeurée par la moisson. Cependant, dans le livre, elle n’a jamais peur pour elle ! Même Katniss, sa grande protectrice, n’a pas peur pour elle, les deux ont ait ce qu’il fallait pour. Le fait de ne pas avoir peur pour Prim pour découvrir qu’elle marche vers sa mort se déroule une deuxième fois dans l’univers : à la fin du troisième livre et du quatrième film. Hors l’effet est complètement gâché ici.
La technologie du Capitole est très jolie pour les jeux. Diffusion d’écran géant, apparition d’êtres vivants, de boules de feu… Si cette technologie paraît étrange (pourquoi ne font-ils pas apparaître par exemple, de la nourriture?) elle l’est complètement. Dans le livre, tout est expliqué : les caméras, les écrans portés par des hovercrafts, des mutations génétiques qui sortent du sol. Si la technologie paraît futuriste, elle paraît somme toute réaliste et ne contredit en aucun cas l’univers.
Aah ces fameux chiens. Ces bons gros bulldog qui ne font pas peur, qui sont juste gros. Dans le livre, les mutations génétiques qui s’attaquent à nos héros sont des loups qui prennent parfois des poses humaines et qui, surtout, ont des similarités avec chaque tributs morts de l’arène. Ainsi, Katniss a peur des loups non pas parce qu’ils tuent, mais parce qu’elle se demande si ils veulent se venger, notamment pour ceux qu’elle a tué ou n’a pas pu sauver (oui je trouve le moment où elle aperçoit le loup qui symbolise Rue plutôt ignoble). Peeta quant à lui a surtout peur que les yeux des loups soient ceux de leurs humains. Les deux ont chacun une peur qui symbolise toute l’horreur que peut avoir le Capitole sur ces loups. Hors dans le film… on a de bons gros toutous.
Les avox. Leur nom ne vous dit probablement rien. Dans les livres, on les appelle des muets : ce sont des traîtres au Capitole a qui on a arraché la langue et qui sont maintenant des esclaves muets. Avox signifie « sans voix », et dans une série comme Hunger Games ou la voix, les discours et le chant sont source de pouvoir (Peeta a une énorme influence sur Panem grâce à ses discours, et les chants de Katniss et de son père symbolisent l’expression de soi), les muets sont privés de tout ça, ils sont dépouillés de leur citoyenneté et condamnés à être considérés comme inexistants. Ils sont les minorités qui n’ont pas le droit de vote, qu’on ne considère même plus comme être humains. Tellement dépouillés de tout qu’hormis avec Pollux dans les derniers films, on ne les voit quasiment pas, Darius et Lavinia ne faisant même pas une apparition.
Les minorités. Une chose que Suzanne Collins aime décrire. Minorité raciale, minorité de pouvoir, minorité handicapée… Cette dernière est présente en la personne de Peeta. Plutôt étonnant ? Peeta est pourtant blanc, plus riche que ceux de la Veine et remporte les Hunger Games. Oui mais une chose que le film oublie, c’est que Peeta perd une jambe à la fin de ses premiers jeux. Ce n’est pas appuyé, ce n’est pas une grosse idée qui va changer le cours du film, et pourtant ça manque cruellement.

Pour terminer sur cette adaptation, on va revenir aux clichés. L’histoire paraît franchement clichée, illogique voire ridicule… Et c’est malheureusement la faute au film.
En effet, dans le livre, l’histoire complète du premier volet est bien différente. Comme je le disais plus haut, le premier livre de la trilogie pourrait se résumer à la participation de Katniss Everdeen aux Hunger Games, mais ce serait oublier énormément de pages qui exposent l’univers du film, ainsi que le personnage de Katniss en elle-même.
Tout le long du premier bouquin, on alterne entre le présent de Katniss, la moisson, la présentation des jeux, et les jeux en eux-même, avec elle qui nous explique des choses de son passé. On apprend à connaître une jeune femme qui est brisée depuis la mort de son père survenue quand elle avait douze ans, une chasseresse qui subvient seule aux besoins de sa famille depuis plus de quatre ans, et une grande sœur qui veut absolument tout faire pour que la vie de Prim soit joyeuse. Un personnage loin d’être parfait avec ses sautes d’humeurs, rendu aigri par un monde cruel et injuste dans lequel elle se sent emprisonnée. Au fil du livre, on comprend pourquoi ce personnage là, et pas un autre, va symboliser la rébellion.
Sauf que le film perd tous ces flashbacks, tous ces moments qui nous parlent de Katniss pour se concentrer sur les jeux en eux-même. Résultat, Katniss semble réellement être un visage pris au milieu d’une masse, sans que l’on comprenne réellement qui elle est.
Pour moi, adapter le livre, c’était adapter la vie de Katniss, pas mettre en scène seulement les jeux. J’aurais absolument adoré que le film jongle, comme le livre, entre les scènes du présent et des où l’on voit une actrice plus jeune incarner une Katniss qui apprend à aller dans les bois avec son père, apprend à chasser avec son petit arc d’entraînement, rencontre Gale, rencontre Peeta, souffre de voir sa mère malade après la mort de son père, offre une chèvre à Prim… Non seulement ça aurait été beau, mais ça aurait surtout été extrêmement important pour la suite, parce qu’il faut se l’avouer, l’unique flashback, celui de sa rencontre avec Peeta, est charcuté et incompréhensible. Dans le livre, Katniss et sa famille meurent de faim après la mort de son père. La jeune fille en est réduit à fouiller les poubelles des marchands de la ville, quand la boulangère la vire de chez elle. Peeta laisse alors exprès brûler deux miches de pain et au lieu de les jeter au cochon, il les envoi à Katniss. Le lendemain, Katniss revoit Peeta, puis baisse les yeux et remarque un pissenlit au sol, qu’elle ramasse avant de réaliser que tout n’est pas perdu, et que dans les bois elle peut trouver de quoi subvenir à leurs besoins, comme avant la mort de son père. Si, dans la série, Katniss est souvent montrée comme Gale, puissante et vengeresse comme lui, elle déclare à la toute fin du dernier livre qu’elle n’a pas besoin du sang bouillonnant de Gale, qu’elle en a assez en elle. Ce dont elle a besoin, c’est de l’espoir apporté par Peeta, du pissenlit qui la nourrira. Et évidemment, toute cette symbolique est fichue en l’air.
Il y a un court métrage sur youtube, fait par des fans, qui s’appelle Hunger Games : The Hanging Tree. On y voit Katniss, jeune, apprendre à chasser avec son père. En douze minutes, ce court métrage parvient à faire tout ce que le film n’a pas su faire en deux heures. Il a réussi à montrer une relation magnifique entre une toute jeune Katniss et un père aimant. Il a réussi à montrer cet enfermement étouffant que l’on a quand on vit dans le district Douze, que le premier film ne parvient même pas à montrer. Enfin, il montre en quoi la musique est quelque chose d’important dans l’univers d’Hunger Games, un symbole qui est complètement passé à la trappe alors qu’il est magnifique, amenant encore et toujours ce symbole de la voix, rappelant les voix dont on dispose pour voter, une chose interdite dans Panem.

Passons maintenant au sujet que beaucoup retiennent : l’histoire d’amour.
Pour commencer, parlons de Peeta. Le nom de Peeta rappelle la pita, un pain plat, celui que produit vraisemblablement le district Douze, plat et dense. Mais le plus intéressant est l’origine du pain : il est grecque. Or, la différence historique qui se trouve entre grecques et romains réside dans le fait que les premiers aimaient la culture et les arts, là où les seconds préféraient la guerre et les jeux. Peeta est un boulanger qui aime l’art, puisqu’il peint, et qui se désole de ne pas savoir grand chose hormis sur les pains (« -Tu en sais des choses / -Seulement sur le pain, regrette-t-il. »), démontrant qu’il regrette de ne pouvoir étendre sa culture. Et il est dans l’histoire de Hunger Games un esclave des jeux du Capitole, des jeux guerriers romains. Il est l’art et la culture qui s’oppose aux jeux violents de Panem, puisqu’il déclare qu’il veut mourir en étant lui-même : il est le premier tribut des jeux à déclarer quelque chose de cette trempe. Là où les autres sont effrayés ou ont envie de se battre, lui réfléchit à son intégrité. Si Peeta avoue qu’il a toujours été amoureux de Katniss, il n’a jamais cherché à lui démontrer. Le fait est que pendant une bonne partie du premier livre, on doute, on se sait pas si Peeta veut tuer Katniss ou non. En réalité, il est le premier tribut du Douze à s’allier avec les carrières, afin de protéger Katniss, afin de montrer au public du Capitole qu’il n’est pas un pion dans ses jeux, qu’il est et restera lui-même, au détriment des règles.
Quand les règles des jeux changent et que Katniss songe qu’elle peut sauver Peeta, elle ne le fait pas doucement comme dans le film : elle se met à hurler le nom de Peeta. Doutant ou non de lui, son cœur lui dicte directement ce qu’elle veut, que Peeta rentre avec elle au district.
Quand elle retrouve son partenaire et qu’ils aménagent la grotte, elle s’occupe de lui quelques jours avant l’arrivée du festin. A ce moment là, dans le livre, les deux se disputent : Peeta ne veut pas qu’elle y aille, mais Katniss le veut. Haymitch envoi alors à Katniss du sirop de sommeil, et cette dernière va droguer Peeta.
Après le retour du festin, Katniss, blessée, injecte le contenu d’une seringue à Peeta (et non pas une crème magique) avant de s’évanouir. Ensuite, les deux compères, essayant de ne pas rouvrir leurs blessures, vont rester quelques jours dans la grotte. Et que ces moments sont importants.
Ce séjour est ponctué d’énormément de faux baisers, avec un seul qui compte vraiment pour Katniss, un seul qui lui fait découvrir un appétit nouveau. Peeta déclarant sa flamme avec tellement de sincérité, Katniss doute même de lui. Elle fait semblant d’aimer Peeta, même si elle apprécie réellement le garçon, mais ne sait absolument pas si ce dernier fait de même, piégée comme elle est par les caméras.
Juste avant la fin des jeux, Peeta est blessé à la jambe et s’évanouit. Quand l’hovercraft les ramène au Capitole, Katniss hurle et tambourine alors à la porte qu’on a fermé entre elle et Peeta. Pas pour les caméras, mais bien parce que son instinct de protection la pousse à vouloir sauver le garçon, et elle est véritablement heureuse de le revoir, seulement, la relation est tout de suite pourrie par la pression que met Snow sur elle pour avoir sorti les baies.
Dans le train qui les ramène chez eux, Katniss parle de son jeu à Peeta et ce dernier s’énerve, pensant qu’elle l’a utilisé. La dispute est important puisque c’est de là que vient la cassure entre les deux : Peeta espérant que Katniss continue leur histoire d’amour, à raison, et Katniss qui n’a jamais voulu se marier et se retrouve forcée d’avoir un amoureux.
En bref, l’histoire d’amour du premier film n’en est pas une. C’est une succession d’interrogations, de questionnements, d’obligations, de caméra et de protection, démontrant encore une fois à quelle point les Hunger Games ne sont qu’une vulgaire émission de télé, où les candidats doivent apporter la meilleure histoire. Mais le film a préféré présenter ça comme une histoire d’amour, ce qui fiche en l’air tout le reste de cette histoire. Tous les moments tendres des personnages s’envolent dans le reste des films. Par exemple, dans le deuxième livre, tous les deux en proies aux cauchemars, Katniss et Peeta passent de nombreuses nuits ensemble, pas parce qu’ils s’aiment, mais parce qu’ils font comme dans la grotte lors de leurs Hunger Games: ils se protègent de la nuit, de la peur et du monde extérieur. Ce sont des moments tendres, dénués d’amour mais emprunts d’une amitié vraie entre deux personnages qui ont vécu le même traumatisme, comme à la guerre, et tentent de réapprendre à vivre après ça.

Pour terminer, on va parler un peu plus des autres films et de l’ironie qu’ils sont, puisqu’ils sont des mises en abyme d’eux-même. Alors une mise en abyme, en gros, c’est Jurassic World qui dit « aujourd’hui on préfère les monstres aux vrais animaux » et qui met un monstre en tête d’affiches parce que ce sont ce que les gens préfèrent. Une mise en abyme, c’est critiquer quelque chose que l’on fait quand même parce que ça va ramener du monde.
Les Hunger Games sont une critique de la télé-réalité poussée à un point assez horrifiques. Ils sont l’arme d’une société totalitaire pour contrôler la population et que chacun s’en veuille les uns aux autres. Ils sont une émission de télé où les Juges décident qui peut vivre ou mourir, tout en laissant un peu de suspens. Katniss le dit, chaque année, il y a une histoire différente, et pour la première fois, l’année de sa participation, les Juges ont décidé de montrer une histoire d’amour, avec deux amants maudits qui luttent pour pouvoir vivre ensemble.
Et qu’est ce que le film a fait ? Mettre en scène une histoire d’amour au milieu d’un contexte pseudo-horrifique pour que ce soit plus classe et plus attrayant.
Le film supprime donc les flashback de Katniss, préférant se concentrer sur les jeux plutôt que sur la vie de l’héroïne. Si au moins il s’agissait d’un moyen de mieux montrer d’autres choses que l’on ne pouvait pas voir dans les livres, comme les réactions horrifiées de Prim ou de Gale (ce dernier que l’on voit seulement quand Katniss embrasse Peeta… bref) ou bien les réactions enjouées des spectateurs du Capitole, un Haymitch stressé, les autres candidats du jeu s’étripant… Mais non. Rien. Le vide. Résultat j’ai un immense manque dans le film parce que ces scènes sont vraiment géniales dans le livre. Quand elle rencontre Gale, on voit que lui est tout de suite amicale alors qu’il faudra à Katniss « Plusieurs mois avant que je lui souris ». Elle raconte différentes anecdotes sur leurs parties de chasse, comment ils trouvent les endroits où chasser ou cueillir, comment ils se rejoignent l’été, l’hiver… Elle nous raconte aussi les choses qu’elle et Prim aiment faire, comme admirer les gâteaux de la boulangerie, comment elles se sont baladées une fois pour ramasser de la nourriture, comment Prim a peur de la forêt mais n’a pas peur des blessures… Et surtout, pendant tous ces flashbacks, on ressent un réel vide quand Katniss parle de son père, ont on n’aura jamais le prénom, ce père aimant et doux qui lui a appris tout ce qu’elle aime dans la vie, le choc qu’elle ressent encore des années après sa mort, en cauchemardant de ses derniers instants dans la mine… Ce père est extrêmement important pour Katniss, mais dans sa tête, jamais elle ne le dira à qui que ce soit dans la vraie vie, et c’est une chose que le Capitole n’a jamais pu lui prendre. Sauf que, le film se positionnant comme le Capitole, on ne sait jamais à quel point cette personne lui a tant donné.
De même, l’histoire d’amour. Je ne reviendrais pas trop dessus mais les producteurs se sont amusés à jouer pendant des années à « Quelle team êtes-vous ? Quel amoureux préférez-vous à Katniss ? » alors que, comme Katniss dans les livres, on n’en a rien à faire ! Il y a une révolution, des esclaves qui se soulèvent pour leur liberté, et si Katniss passe le deuxième livre à se questionner sur qui elle préfère, c’est principalement parce que Peeta symbolise le vœu du Capitole, son refus d’être le Geai Moqueur et de symboliser la Rebellion, alors que Gale symbolise justement le sang bouillonnant des esclaves qui triment et n’en peuvent plus. Pendant trois livres, Katniss est ballottée entre les bras de l’un puis de l’autre, cherchant désespérément du réconfort (et on ne peut pas lui en vouloir) quand l’un des deux est en danger, avant de finalement réaliser, à toute fin, qu’elle a besoin de l’espoir de Peeta.
Ensuite, le vieillissement des personnages. Non, si les deux acteurs principaux font jeunes, ils ne font pas du tout 16 ans, et il en va de même pour tous les personnages, jusqu’à l’actrice de Rue qui en avait 14 au lieu de 12, ce qui fait que sa mort choque beaucoup moins.
Du coup, les personnages sont censés avoir entre 12 et 18 ans mais les acteurs, exceptés ceux de Rue et Clove, avaient entre 17 et 23 ans. La violence est donc largement annulée puisqu’on ne voit plus des enfants se battre, mais bien des adultes.
Parlons en de cette violence tiens. Dans le livre, il y a du sang, Katniss se brûle horriblement, est coupée et saigne abondement du front, soigne Peeta en ramassant, je cite, « deux seaux de pue », Rue a une « horrible blessure », Marvel arrache la flèche de son cou, Peeta saigne de nouveau à la fin et trace un X rouge sur la main de Cato, Clove ne meurt pas tout de suite et gémit après avoir le crane enfoncé par Tresh, et surtout, Cato passe dix heures à se faire réduire en « pulpe sanglante » par les loups. Bref : c’est gore, c’est un spectacle ignoble que Katniss revit toutes les nuits.
Et pourquoi le film a coupé les scènes ? Pour ne pas être en dessous du « interdit au moins de 12 ans » et avoir le plus d’argent possible.
Oui mais non. Le film est censé choquer, moi même je grimace en relisant les livres, je veux grimacer en regardant le film, je veux être mal à l’aise face à un spectacle ignoble qui se déroule tous les ans. Je veux comprendre à quel point c’est horrible de voir ses enfants être là dedans, qu’on ne peut rien y faire. Je veux sentir à quel point ce système est injuste. Je veux que les enfants ne puissent voir ce film parce qu’il est trop horrible pour eux et qu’ils comprennent ce qu’il y a d’ignobles dans cette société totalitaire. Mais le film a décidé d’amoindrir tout ça.

Oh les suites ne font pas mieux. Aucune des mises à mort n’est réellement ce qu’elle est censée être, que ce soit pour les personnages secondaires que Finnick et Katniss tuent dans le deuxième film ou pour la mort même de Finnick, qui se fait arracher la tête.
Même les blessures ne sont pas montrées. Il y a les deux blessures de Peeta à la jambe, la deuxième saignant tellement que Katniss doit lui poser un garrot, le garçon perdant alors sa jambe. Dans le deuxième volet, Katniss, Finnick et Peeta reçoivent des brûlures à l’acide, et ils sont en sang pendant un long moment. Enfin, dans le dernier livre, juste après la mort de Prim, Katniss reçoit des brûlures graves, et sa peau ressemble à un patchwork de nouvelles cellules, d’ancienne peau qui n’a rien et de peau rouge vif et brûlée. Ses blessures physiques sont censées démontrer à quel point le personnage se sent ravagé aussi bien physiquement que psychologiquement.
Du coup, la violence amoindrie, les réactions des personnages le sont aussi. Après la mort de Rue, Katniss n’est pas censée pleurer : elle est seulement atteinte d’une certaine langueur, la même que sa mère. Assise dans son arbre, ne faisant rien, ce n’est que l’idée de Prim la regardant avec angoisse qui la fait retrouver ses esprits.
Et la mort de Prim. La fin du troisième livre me met les larmes aux yeux à chaque fois. Katniss, après la mort de sa sœur, vit quelques jours dans le palais royal, sans avoir aucune idée des jours passants, ne parlant plus, s’accrochant à sa morphine. Après avoir tuer Coin, elle passe des semaines dans sa chambre, sans manger ni boire, attendant la mort. Quand on la libère enfin et qu’elle retourne au district Douze, elle reste là encore des semaines assise dans son fauteuil, attendant, réfléchissant à si elle doit se suicider ou non. Ce n’est que l’arrivée de Peeta qui la réveille. Ce passage, bouleversant, émotionnel et langoureux, est complètement oublié dans le film où Katniss se remet de la mort de sa sœur en littéralement trois jours.

Maintenant, les posters promotionnels : ce sont ceux des personnages dans le film. Du coup, aucun personnage n’a le regard de « je suis un enfant terrifié qui va mourir atrocement dans des jeux immondes d’une société totalitaire » mais un regard vide, ou alors une pose plutôt classe.
Le problème est là pour tous les films. Les derniers posters de Katniss ressemblent à ceux utilisés par la propagande du district Treize, où elle est confiante et regarde au loin, mais ne ressemble absolument pas à la Katniss qui a un syndrome de stress post-traumatique, qui est piégée dans des relations sentimentales sur lesquelles elle n’a aucun pouvoir, et qui est utilisée par tout le monde à des fins publicitaires. Non elle est classe et elle vise avec son arc.
Et je ne parle même pas des posters où les personnages sont beaux, bien habillés par le Capitole et posent sur une belle chaise alors qu’ils sont censés être torturés tous les jours.
La logique derrière est simple, regardez, imaginez vous être dans l’univers du film, vous vous baladez dans la rue et vous voyez les personnages comme si vous viviez au Capitole. Oui mais c’est ce que le livre critique ! On n’est pas des spectateurs qui sont censés apprécier le spectacle, on est des personnes qui veulent réfléchir avec le film. Je ne veux pas voir des personnages qui ont l’air classes avec leur costume de l’arène, je veux voir mes personnages, leurs peurs et leurs horreurs sur le visage ! Ils vont dans l’arène car ils n’ont pas le choix, ils vont tuer ou se faire tuer, et la promotion en profite pour les montrer courageux et beaux alors que ce sont des personnages terrifiés. En bref, c’est de la propagande à petite envergure.
Si ça ne faisait parti que de la promotion, à la limite je pourrais m’en passer, sauf que non. Dans le troisième film, Finnick raconte que Snow vendait son corps à des fins politiques. Dans le livre, Finnick est bouleversé par son histoire, triturant une corde, tout le monde aux petits soins autour de lui. Qu’est ce que le film en a fait ? La cerise sur le gâteau d’une scène de sauvetage ultra cool. Un Finnick glamour qui regarde droit dans la caméra et dit « je suis sexy et j’ai des infos sexy pour vous qui m’écoutez ». Alors que, je le rappelle, on parle de prostitution sur un mineur, Finnick ayant 14 ans au moment des faits. La scène est malaisante au possible.

Tout ça pour dire que, à chaque étape de fabrication des films, du casting au scénario, de la promotion au montage, les producteurs ont pris l’option « capitole » et ont décidé de tout faire pour avoir le plus d’argent possible. Ils sont devenus la métaphore des livres, exploitant les spectateurs pour leur donner envie d’une histoire d’amour et de personnages classes, blancs et hétéronormés tout en oubliant qu’ils mettaient en scène des propos horrifiques et des pensées critiques envers notre société. Bref, les producteurs sont le Capitole, les films sont les Hunger Games, et nous sommes les Districts.

Aujourd’hui, quand on parle d’Hunger Games, on n’est pas pris au sérieux. Les livres apprennent aux jeunes que les riches ne veulent pas les aider, et que même les riches gentils sont là pour profiter de nos souffrances. Que les ouvriers, la classe populaire, ne sont pas nos ennemis, et si on entre en conflit avec eux, ce sera mauvais à long-terme. Que la violence est une chose ignoble, et elle vous change comme jamais, mais parfois on est obligés de se défendre. Et que les jeunes femmes racisés ont le droit de rêver d’assassiner un président. Ce que les films apprennent, c’est que la société capitaliste veut de l’argent à tout prix.
Et en tant que fan de la saga littéraire, ça fait mal. Quand j’ai lu les livres, à douze ans, j’étais horrifiée, j’étais étonnée, j’étais perdue, je pleurais. J’ai ressenti tout un tas d’émotions. J’y ai vu un des seuls personnages femmes qui n’était pas hétérogenrée, puisqu’elle était l’héroïne, chassait, était de mauvaise humeur et n’avait rien à faire des garçons.
Un des meilleurs points du livre est que à chaque fois que je referme le dernier, je me sens vide. J’ai vécu une vie entière de traumatismes et de pertes avec Katniss. J’ai ressenti son horreur face à ses meurtres, face à la violence qu’elle voit, face à tous ces morts, toutes ses peines. A côté, quand je vois qu’à la fin du premier livre d’Harry Potter, Harry tue Quirell et s’amuse ensuite à manger des bonbons à la cire d’oreille, je ris doucement que l’on puisse se moquer de moi pour oser aimer Hunger Games. Je trouve que cette trilogie possède bien plus de qualités que toutes les autres œuvres pour jeunes adultes qui ont pu sortir pendant le début du siècle. Et j’en veux terriblement aux producteurs de ne pas avoir pu faire ressentir ça à l’écran, d’en avoir fait une bouillasse d’acteurs blancs et d’acteurs qui n’en ont rien à faire d’être là (j’ai tenu bon jusqu’ici pour ne pas insulter l’actrice de Katniss, mais parfois, je me demande ce qu’elle pensait jouer), une histoire d’amour à deux sous dont tout le monde se fichait avant que les films n’arrivent, et d’avoir réduit en miettes le côté critique des livres.

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